Dame Gulizar and other Love Stories – Rebecca Topakian

Rebecca Topakian, Blow Up Press, Dame Gulizar and other love stories, Arménie, Famille, mémoire, racine, retour, masculin, patriarcat, enlèvement, pierre, identité, Frédéric Martin, 5ruedu, chronique, livre photo,
©Rebecca Topakian

Dame Gulizar and other love stories paru aux éditions Blow Up Press prend pour point de départ l’histoire familiale de la photographe Rebecca Topakian, celle de ses arrières grands-parents Gulizar et Garabed.

Grarabed était épris de la belle Gulizar, hélas la famille de la jeune femme ne voyait pas cette idylle d’un bon œil, jugeant l’homme trop frustre. Il décida donc d’enlever sa promise. Chevauchant plusieurs jours, ils fuirent l’Asie Mineure (L’Anatolie) pour rejoindre Constantinople.

Interrogeant ce conte familial, la photographe plonge peu à peu dans ses racines aux possibles multiples. Il ne s’agir plus simplement de documenter un fait, plutôt de creuser plus avant un territoire fait d’exil, de mémoire, de structures sociales où les hommes dominent, mais aussi de construction de l’identité.

Rebecca Topakian, Blow Up Press, Dame Gulizar and other love stories, Arménie, Famille, mémoire, racine, retour, masculin, patriarcat, enlèvement, pierre, identité, Frédéric Martin, 5ruedu, chronique, livre photo,

Sur la photographie aux teintes sépia, une femme est debout aux côtés d’un homme assis sur un fauteuil. Ils sont maintenant âgés.

Un homme allongé sur son torse repose une jeune femme au regard pensif, un brin rêveur.

Feuille de papier calque, une pierre sur laquelle une photographie a été imprimée. En transparence une montagne, une main sculptée qui émerge de la roche. Détour, une cascade de glace gelée, des portraits anciens, Gulizar peut-être. La roche encore, d’autres pierres sur lesquelles ont été tirés des photographies, d’autres images de bonheur familial, des portraits récents de jeunes hommes vraisemblablement arméniens, des lieux, des croix, les époques, les lieux se mêlent, se heurtent, se rencontrent.

Et cette question : et si Gulizar n’avait pas été enlevée,  avait pu décider de son sort…

Rebecca Topakian, Blow Up Press, Dame Gulizar and other love stories, Arménie, Famille, mémoire, racine, retour, masculin, patriarcat, enlèvement, pierre, identité, Frédéric Martin, 5ruedu, chronique, livre photo,
©Rebecca Topakian

Il convient de saluer encore et toujours le travail remarquable de maquette réalisé par Aneta Kowalczyk pour Dame Gulizar and other love stories. La construction narrative du livre, les choix de papier, d’insert, donnent à l’ensemble de l’ouvrage l’apparence d’un journal de voyage intime, un carnet de notes complexe où l’histoire de Rebecca Topakian, ses questionnements s’inscrivent en filigrane. Ce travail méritait une attention toute particulière dans sa mise en page, et c’est ici pleinement réussi.

Ce qui l’est tout autant, c’est le projet de l’artiste. Il ne s’agit pas simplement ici de revisiter la belle légende familiale, mais d’aller au-delà de celle-ci pour non seulement se l’approprier et parallèlement révéler les interrogations, questionnement qu’elle soulève.

Rebecca Topakian, Blow Up Press, Dame Gulizar and other love stories, Arménie, Famille, mémoire, racine, retour, masculin, patriarcat, enlèvement, pierre, identité, Frédéric Martin, 5ruedu, chronique, livre photo,
©Rebecca Topakian

L’enlèvement, à fin d’épousailles, semble être (avoir été ?) une tradition très ancrée dans le Caucase, en cela ce qui s’est passé entre Gulizar et Garabed n’a rien d’étrange. Pourtant, plusieurs questions apparaissent : quid derrière l’idée romantique de la volonté de la femme ? À travers les photographies proposées par Rebecca Topakian il y a tout de même une omniprésence masculine, une société arménienne forgée par les hommes et pour les hommes. Il ne s’agit pas ici de dénoncer, plutôt de poser des questions. Comment aurait-été la suite si Gulizar avait décidé. La même ? Différente ? Peut-être un peu des deux.

Ce qui se trame aussi, c’est toute la conscience de l’exil, de cette part de soi qui est d’ailleurs. Dame Gulizar and other love stories met en avant un territoire que la photographe s’approprie parce qu’il fait partie d’elle. D’exils en migrations, sa famille d’Asie Mineure a fini par vivre en France après un séjour à Constantinople, mais dans ce voyage à rebours l’artiste questionne sa propre identité, sa propre place. Rebecca est française, toutefois, il serait vain de nier ses racines. Il y a une forme d’aller—retour avec ce livre, avec ses images qui permet de construire un autre récit, une autre histoire, celui d’une femme qui prend sa place dans un tout plus vaste, très masculin.

Rebecca Topakian, Blow Up Press, Dame Gulizar and other love stories, Arménie, Famille, mémoire, racine, retour, masculin, patriarcat, enlèvement, pierre, identité, Frédéric Martin, 5ruedu, chronique, livre photo,
©Rebecca Topakian

Est-ce que ce retour, ces pierres couvertes de photographies, ces images d’un paysage morcelé par la main masculine, ces lieux marqués par la religion ne sont-ils pas une façon de dire « Je suis aussi d’ici j’y ai toute ma place » ? Il faut du courage pour s’imposer ainsi face à une domination, pour saisir, puis brandir cette double identité.

Dame Gulizar and other love stories est un travail remarquable par sa finesse et son intelligence, mais aussi par ce qu’il soulève. Rebecca Topakian développe un narratif complexe qui interroge sur les rapports que nous pouvons entretenir aux autres, au monde, à nos communautés.

Site de Rebecca Topakian

Site des éditions Blow Up Press

65€

Cover: soft, Refit Wool Blue 250g, with hot stamping 
Papers: Munken Pure 150g, transparent paper
Format: 165×226 mm
Number of pages: 120
Number of photographs: 57
Language version: English, French and Armenian
Print run: 600 copies
Publication date: October 2024
Publisher: BLOW UP PRESS (Warsaw, Poland)
ISBN: 978-83-965969-4-9

Partagez :
Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

Newsletter

Saisissez votre adresse e-mail ci-dessous et abonnez-vous à la newsletter