5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Backroads – Oona Skari Duroy
18 août 2019, Oona Skari Duroy et son père partent en road-trip à travers le Montana. La photographe est l’héritière de la culture américaine de sa mère et de l’obsession (entre autres photographique) pour ce pays de son père. Double héritage, double transmission.
De ce voyage, de ces heures à traverser l’arrière-cours des USA de Trump (déjà), elle nous livre un très beau livre, Backroads, paru chez Nebel Press et imprimé en rizographie.
« Sur les longues routes du grand Ouest, les petites villes défilent. Elles se ressemblent et se suivent, immobiles. » Puis, il y a cette silhouette à contre-jour, des maisons aux façades décrépites, une cuisine et un canapé dans la cour.
« Deer Lodge. Il est treize heures trente. »
Le temps semble suspendu au fil de l’ennui. Un type biberonne une bouteille, par terre, un jouet en plastique déchiré rigole pour l’éternité.
Dehors encore un canapé.
« Joe aime la vie ».
Il se remet d’un cancer, a passé dix-sept ans en prison, aime Vivian. Tous deux sont alcooliques, ne s’en cachent pas, n’en tirent aucune gloire, ils aspirent simplement à vivre, du mieux qu’ils peuvent. Des carcasses de voitures, des canapés encore, un monde un peu vide de trailers, d’herbes hautes et de silence.
Bienvenue dans les ornières du rêve américain.
Parce que c’est de ça dont il s’agit ici, ce dont parle avec honnêteté Oona Skari Duroy : de l’envers d’un décor clinquant, de la face cachée ou tue de cette Amérique qui agite sa puissance et sa morgue.
Il y a le bling-bling hollywoodien, les rêves d’argent facile, de palaces rutilants, les mythes de territoires à explorer qui assureraient la fortune à celles et ceux qui sauraient s’en emparer.
Il y a les strass, les sourires parfaits, l’american dream et l’american way of life.
Il y a déjà ce slogan : Make America Great Again .
Puis, il y a Backroads. La pauvreté, les populations fragilisées, l’ennui et l’alcool, la violence peut-être. La réalité.
Le livre remet les pendules du capitalisme triomphant à l’heure. Non, les États-Unis ne sont pas ce Paradis grandiose où le plomb devient de l’or dès lors que celui qui se rêve alchimiste décide de l’être. Au contraire, c’est le pays de la misère visible, des territoires délaissés, le pays des déclassés qui n’ont rien d’autre à faire que d’attendre sur leur sofa en buvant.
Le travail d’Oona Skari Duroy s’éloigne du reportage, de la simple recension de cette situation, pour creuser un peu plus, pour témoigner de ce qui se trame au sein de ces espaces. Entre dialogue intime avec les habitants, regard frontal et poésie des lieux, elle s’empare de cette Amérique qui ne se vend pas, qui ne s’imagine pas.
La démarche est subtile et presque toujours sur le fil. Il faut éviter de simplement dire, il faut éviter de donner la sensation d’être voyeuse.
Et c’est à travers cet écart très mince que les images prennent naissance.
On fantasme un Montana sauvage avec rivières, ours et le fantôme de Jim Harrisson. On se retrouve dans des villes qui puent l’ennui, la solitude et c’est la réalité. Les gens souffrent, tombent malades, votent républicains, mais ils sourient aussi, après tout, leur vie leur importe bien plus que celle des millions d’autres.
Ils ont raison.
Finalement, les lecteurs et lectrices oscillent entre des univers aussi tendres que cruels, aussi désespérés que profondément humains.
Backroads, tiré à seulement cinquante exemplaires, est une vraie réussite, un travail photographique remarquable de qualité, mais surtout de sincérité et d’honnêteté. Espérons qu’Oona Skari Duroy continue ainsi, le plaisir de la lire encore est certain.
50€
