
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
Une femme part quelques jours dans la maison de famille de son compagnon trans dans les montagnes alpines, loin de tout. Elle tente d’y écrire un roman, n’y arrive pas. Alors, elle relate ses jours, ses espoirs à celui avec qui elle espère devenir mère.
Une rivière, désormais canalisée et enfouie, évoque des souvenirs, ses mémoires, repense notamment à l’histoire de Clara et Méni, amies depuis leur plus jeune âge et qui grandissant découvrent l’amour qu’elles ont l’une pour l’autre. Las, c’est le début du vingtième siècle, les amours entre femmes sont très mal vues, et puis Clara est promise depuis toujours à Nico le frère ainé de Méni.
Alternant deux voix, celle de La Femme et celle de La Rivière, Le chant de la rivière de Wendy Delorme paru aux éditions Cambourakis, nous entraine dans un récit tendre, délicat et lumineux. Les histoires du passé et du présent se mêlent, se croisent pour former un ensemble aux accents de conte un peu cruel. La tension monte, page après page. Avec talent, l’autrice déroule les moments d’une beauté inouïe – les passages en relation avec la montagne, les jeux des fillettes, la liberté qui parcourt l’œuvre- et la dureté de cette vie montagnarde, des hommes sûrs de leurs prérogatives et de leurs violences.
Mais, il ne suffit pas de limiter Le chant de la rivière à un beau roman d’amour.
En effet, ce qui parcourt cette œuvre c’est aussi un constat à propos des évolutions sociétales et écologiques. En croisant la rivière et femme, Wendy Delorme va créer deux univers qui évolueront différemment mais de manière assez symétrique. D’abord, cette eau, indomptée, indomptable, aussi bien nourricière, espace de jeux, que traversent des crues subites et mortelles, que les hommes vont peu à peu canaliser, endiguer, enfermer. Ensuite, ces femmes à l’espace de liberté si restreint, aux destins tout tracés, qui doivent obéir aux pères, maris, frères, qui peu à peu prendront une place plus affirmée au sein de la société par leurs choix et leurs courages, même si celle-ci est loin d’être acquise et définitive. Clara et Méni, leurs amours interdites, l’amitié qui les lie, la mère de Clara veuve indépendante, autonome, que les hommes jalouses et voudraient bien asservir.
On ne peut s’empêcher de relier l’une et l’autre, de voir les cours s’inverser. Puis, il y a cet hymne à la nature. La narratrice évoque la chaleur étouffante des étés de plaine, l’avenir climatique incertain, la violence faîte aux espaces naturels avec cette rivière réduite à un conduit de plastique. Parallèlement, la montagne apparaît préservée, zone où la puissance des éléments réduit la fatuité humaine à rien. Emblématique la scène de tempête où la narratrice se retrouve recluse dans la ferme d’alpage durant deux jours. Il faut se délecter de ces descriptions montagneuses, de leur poésie, de ce chant de l’immensité, du ciel, des nuages, des sous-bois, de l’eau vive. Entendre que, finalement, la domination ne peut s’exercer à aucun endroit, sur aucune personne et que seule l’arrogance des humains ne leur permet pas de comprendre cela.
Le chant de la rivière fait partie de ces livres qu’il est difficile de lâcher après les avoir débutés, et qui derrière une façade d’apparente simplicité recèlent des trésors de complexité et de réflexion.
C’est un hymne à la liberté, au droit à être Soi et différents des « normes ». C’est aussi un hommage au Vivant, à la Nature
Mais c’est surtout un livre magique….
llustration de couverture : Alexandra Duprez
144 pages / 130 x 210 mm
16 euros TTC
ISBN 978-2-36624-873-9