L’arbre-machine, un monde en mue, de la photographe Sylvie Bonnot paru aux éditions Loco (Anne Zweibaum, Eric Cez) est un ouvrage complexe, protéiforme. Sylvie s’est intéressée, par raisons familiales aux évolutions de la forêt bourguignonne, mais sa recherche l’a poussée à plonger aussi au cœur des forêts guyanaises.

Photographiant celles-ci, creusant les écarts qui se créent, elle choisit une démarche plasticienne pour nous livrer ses observations. Les gélatines des tirages sont décollées des supports, donnant ainsi une nouvelle forme, une mue pareille à ces peaux que peuvent délaisser les serpents quand ils grandissent, symbolisant ces mutations qui parcourent les espaces forestiers. L’ouvrage est accompagné de nombreux textes ainsi que d’un atlas de la forêt bien utile pour comprendre ce qui se joue ici.

L’image est déformée, ondulée, et on y voit un taillis dense, un arbre géant couché de tout son long. Quelques pages plus loin, d’autres taillis, des stries sur la photographie ressemblant à des écorces, un sol craquelé, les cernes que l’on trouve au cœur du tronc.

Parfois, un rapace, une clairière baignée de lumière, puis c’est l’Homme et ses machines grondante, des troncs déchiquetés, des cabanes, un territoire où la forêt recule, disparaît.

Chaque image présente ces marques, ces déformations, comme des peaux parcheminées et le lecteur avance troublé dans un décor mouvant.

Il y a bien longtemps que la forêt primaire a disparu sur le sol de la métropole. Depuis l’an 1000, cet espace est devenu un lieu de conquête, un territoire de gestion. On exploite la forêt en France métropolitaine au même titre que l’on cultive des terres agricoles ou que la pêche gère les ressources halieutiques. En Guyane, il y a bien sûr encore une forêt primaire, cette forêt amazonienne mystérieuse qui fait rêver depuis toujours. Pourtant, là encore la présence humaine, l’incidence sur le lieu n’est plus à démontrer.

Avec L’arbre-machine, un monde en mue, Sylvie Bonnot projette son regard, et le nôtre, sur ces futaies qui ne cessent de changer.

Les images témoignent de la multiplicité des paysages d’une part et de l’impact des activités de forestage de l’autre.

Il n’y a pas une, mais des forêts en France. Le modèle auquel nous sommes habitués en métropole, si modèle il y a, n’est pas du tout celui que contemplent quotidiennement nos concitoyens d’outre-mer. Et encore, quelle similitude entre une forêt de chêne du nord Allier et celles de pins dans les Landes ?

Les images bouleversées, transformées de Sylvie Bonnot sont un bon exemple de ces représentations. Les pentes bourguignonnes cultivées, ordonnées, paysages intimes, familiaux, sont forts éloignés de l’inextricable touffeur amazonienne. Par ailleurs, tout ça se modifie sans cesse. Il y a les effets de l’industrie agroforestière, les aléas météorologiques, le changement climatique.

Si on s’attarde sur certaines images, on peut voir des machines immenses, plus hautes que les arbres eux-mêmes, qui broient, déchiquettent, découpent, tranchent. On exploite, on abat, on débarde, on replante des espèces exogènes, qui résistent plus ou moins bien aux tempêtes et aux crises.

On gère.

Les entreprises gèrent la forêt, parce que l’humain en a besoin pour son confort, son chauffage, ses charpentes et ses cuillères en bois. L’activité humaine semble inarrêtable et il faut s’interroger sur le devenir de tout ça ? Quelle réalité écologique, quel impact derrière la réalité économique ? La maladie actuelle qui touche les plantations de résineux donne un élément de réponse : la monoculture en forêt n’est pas une bonne chose, le milieu a besoin d’un équilibre. Mais cet équilibre écologique n’est malheureusement pas celui des exploitants.

Les photographies ici, par la grâce de ce procédé technique qui est propre à Sylvie Bonnot, sont autant de témoignages concrets et poétiques de cet incessant bouleversement que connaissent tous les massifs forestiers. Mue, mutation, changement, elle s’aventure ici et là, photographie, contemple, témoigne, traverse les espaces, œuvrant à nous montrer leurs complexités. Le monde change, de plus en plus, et de plus en plus vite. Pourtant les photographies de L’arbre-machine sont aussi un témoignage aussi fort que bouleversant sur ce qui était et ce qui devient.

Site de Sylvie Bonnot

Site des éditions Loco

42€

Actualités de Sylvie Bonnot :

– Membranes, exposition de restitution de la résidence Adhex x Interface, avec les soutiens de l’entreprise et du ministère de la Culture (Dispositif Artistes en entreprise). 19 Nov – 15 avril 2025 >> Visites sur rendez-vous. Commissariat : Frédéric Buisson

– Rethinking Photography / EMoP Luxembourg, Arendt House, Luxembourg, LU. 16 mai – 28 septembre 2025. Commissariat : Paul di Felice Exposition des nominés au Prix EMoP Arendt House et publication monographique, textes d’Étienne Hatt et de Fiona Shields, éditions Café Crème, 2025.