
5, Rue du
Chroniques littéraires & photographiques
Chroniques littéraires & photographiques
Durant le mois de mars, 5ruedu fait le choix de ne publier que des ouvrages de photographes femmes publiées par des éditrices ou des maisons d’édition comprenant au moins une femme à leur tête. Parce que les femmes sont moins visibles que leurs homologues masculins, il est impératif de mettre leurs travaux en avant.
« Il (le ruisseau) emporte tout, seuls les souvenirs restent accrochés à ses rives. »
De souvenir, La maison natale livre auto-édité de Lucie Boucher en est plein.
Souvenirs d’avant, d’aujourd’hui, de moments fugaces, de rires, de peines, de joies… Souvenirs d’une ou de plusieurs vies qui se sont croisées en ce lieu et qu’a saisi la photographe.
L’ouvrage, imprimé en risographie, existe en 50 exemplaires et évoque des mémoires fragiles, vacillantes.
Une chaîne, rouillée peut-être, qui servait à barrer une porte. Puis la façade aux volets clos d’une bâtisse comme abandonnée, le lierre qui l’attaque peu à peu. Un chien flou au pelage noir et blanc, des insectes, des arbres et des miroirs, reflet d’un temps révolu, témoins silencieux de ce qui s’est passé ici.
Lucie Boucher nous invite à une promenade lente et mélancolique, déambulation infinie dans un espace qui bien que restreint contient en lui l’immensité du temps.
Il y eut des vies, on aima et parfois, la mort s’annonçait.
Que reste-t-il de ces existences ? Rien ou si peu. Pourtant, chaque buisson, chaque boule de gui a aussi des rémanences. Et puis, que va-t-il rester de maintenant ?
Le travail de la photographe est une anamnèse singulière : tout pourrait laisser penser que ces images nous resteraient fermées. Nous n’avons jamais vécu ici, le crin du cheval nous est inconnu, son nom aussi.
Et c’est le risque quand on livre ainsi un territoire à des personnes qui ne le savent pas.
Pourtant, les photographies proposées par La maison natale ne nous sont pas inconnues.
Nous avons tous, toutes, des maisons, des paysages, des animaux dont nous gardons une trace quelque part en notre cœur ou notre âme. Or, page après page, par une sorte de mimétisme, nous construisons notre propre récit.
Ce mur de pierre n’est-il pas celui où nous regardions grimper lézards et fourmis autrefois ? Et ces arbres, ces racines les lieux de nos jeux ?
Une proposition comme celle-ci, dans cette forme (le livre tient presque du journal secret, intime.) ouvre de nombreuses perspectives. Parce que oui, il importe de revenir sur des moments, des endroits d’avant. Parfois, ce sera par des photos vernaculaires, des discussions avec des ancêtres, la généalogie. Mais, et c’est possiblement le plus primordial, tout ça passe aussi par un voyage silencieux sans quête de vérité. L’eau du ruisseau a coulé et coule encore, des existences se sont façonnées et l’artiste nous invite à une contemplation sereine et douce.
L’autobiographie, qu’elle soit littéraire ou photographique, est pleine de mystères, d’interprétation. C’est ce qui en fait tout le charme, toute la force. Sans ces modifications qu’apporte notre cerveau, les rappels seraient certainement un peu plats.
Or, La maison natale ouvre la porte au fantasme, aux chimères, aux inventions.
C’est ce qui est magique.
La magie. Voilà le don que nous fait ce livre. Magie du retour et du parcours. Magie des images sans repères flottant dans un lieu atemporel.
Lucie Boucher réalise ici un travail porteur de sens, plein de finesse et de nostalgie. Il faut espérer que d’autres lui emboîteront le pas.
30€