« J’ai roulé sans m’arrêter toute la journée

et une partie de la nuit

Vingt et une heure d’affilée »

Qui est cet étrange Mister K qui fuit ainsi au creux de la nuit ? Que ou qui cherche-t-il, évite-t-il ? C’est ce que nous nous demandons en lisant le livre de la plasticienne Sylvie Meunier. Celle-ci a choisi de construire un récit fictif, proche du roman-photo et du film noir, en utilisant des photographies vernaculaires. Mister K, publié par l’Atelier EXB, mêle texte et images en noir et blanc pour construire l’histoire de cet homme, qui traverse les USA durant huit mois au volant de sa voiture, fuyant, égrenant des souvenirs énigmatiques, se cherchant.

Nous sommes partout et nulle part, sur une autoroute, à l’intérieur de l’habitacle d’une voiture. De temps en temps un motel, un couple qui s’embrasse, un autre nu, qui s’enlace. La pluie, des montagnes, un désert, un pont à la structure métallique si caractéristique… Des mots, ceux de Mister K, des mots de doute, d’introspection, de peur. Des allumettes brûlées, l’épicerie de Bayfield et ses 15 boîtes de baked beans, 3 pains de maïs, et 10 boîtes de sardines. Des highways aussi, une femme nue, « une nuit sans bruit, sans rêve. »

Il faut d’abord retenir de ce livre le travail conjoint autour de l’image et du récit. Les deux s’accordent parfaitement, sans que l’un empiète sur l’autre, pour former un roman photographique d’une grande qualité. Le polar que nous propose Sylvie Meunier emprunte aux codes des films noirs, du road-trip tels qu’on peut les lire dans une certaine littérature américaine. Les tirages piezographiques offrant une lecture qui fait écho à ce que notre imaginaire pourrait réinventer de cette époque. Ce sont les États-Unis des années 50, du Maccarthysme, du nucléaire, de l’American Way of Life, du capitalisme triomphant, de la Guerre Froide qui débute, des Chevrolet, de l’industrie de Detroit, des enfants plein de santé, aux sourires immenses, des pardessus et des chapeaux mous, de Mick Hammer et des films de John Huston et Otto Preminger. Mais les images seules ici n’auraient su suffire et en écrivant un texte l’artiste donne corps à celles-ci. Il est réel ce Mister K, cet homme silencieux et torturé, qui a semble-t-il assassiné sa compagne. Mots fragmentés, heurtés, phrases courtes, on halète au même rythme que sa respiration en le lisant, à travers cette échappée qui paraît infinie. L’illusion est totale, si bien qu’à la fin, il faut revenir au réel et se rappeler que tout ça n’est que fiction.

Ce qui invite le lecteur, la lectrice à s’interroger sur la vérité de l’image. Sylvie Meunier a collecté des centaines de photographies parmi divers fonds, les a retravaillées, recadrées pour donner ce sentiment d’uniformité, d’unité. Pourtant, comme elle le dit, elle n’est jamais allée aux États-Unis. Il y a donc un vrai pouvoir fonctionnel dans la narration photographique, dans le séquençage. S’agirait-il dès lors d’un mensonge ?

Non.

C’est une simple réinterprétation de la réalité. Tous ces clichés pris indépendamment n’ont pas un intérêt exceptionnel (si ce n’est peut-être de témoigner d’une époque), mais une fois mis en regard, en écho, une fois associé à des mots, ils deviennent un possible.

Qui sait si K n’a pas existé d’une manière ou d’une autre ? Il y a très certainement bien des hommes blancs qui ont dû fuir leur domicile à un moment ou un autre dans l’Amérique de Truman ou d’Eisenhower. Qui sait si cet homme ne tenait pas une sorte de journal, ne faisait pas ses propres photos ? Tout est possible…

L’autre grande force de ce livre est donc de donner à réfléchir sur le pouvoir de l’image, sur ce qu’elle montre et surtout ce qu’elle dit (ou peut/pourrait dire).

Mister K est une chronique singulière et déroutante, un voyage haché où l’on se perd, se retrouve. Il permet de révéler les ressorts cachés du média photo, de l’écriture et par la même d’éveiller en nous des questionnements sur la vérité…

Facebook de Sylvie Meunier

Site de l’Atelier EXB

39€

Broché, 16,5 x 21,5 cm
352 pages
Environ 200 photographies N&B

ISBN : 978-2-36511-303-8