Publié dans la collection Photographie aux éditions L’Atelier contemporain, Hivernies du photographe Patrick Bogner propose une série réalisée dans le Grand Nord. Accompagnées d’une préface du philosophe Daniel Payot, qui conduit aussi une interview de l’auteur en fin d’ouvrage, les images proposées ici sont de l’ordre de la démesure, de l’inouï, d’une forme d’Absolu.

D’abord, ce sont des rochers noirs blanchis par la neige, pics montagneux, vertigineux, baignés de nuages épais. Un vol d’oiseau orne le ciel uniforme, la neige tombe dru. Parfois quelques arbres comme ajoutés là par un peintre soucieux du détail, ou le charbon d’un brouillard épais. Ensuite, des vagues bruyantes, l’eau gelée, figée, des rocs encore, blancheur hiémale du monde. Enfin, une cabane perdue dans l’immensité.

Le silence surtout.

Pas un bruit même dans le soyeux des ailes, même avec le fracas du ressac.

C’est le monde avant le monde, le lieu primordial.

Il n’y a ici rien d’humain, parce que l’humain n’y a pas sa place.

Des paysages d’Hivernies nous retenons d’abord le noir et le blanc. Impression tenace que les photographies n’en seraient pas, mais plutôt des œuvres graphiques, peintes par un calligraphe, chinois peut-être. Rappelant le sumi-e, cette peinture qui se caractérise par l’usage du lavis à l’encre noire, la prédominance du paysage comme sujet et la proximité avec la philosophie du bouddhisme zen, les images apparaissent comme une succession de tableaux où le regard se perd face à l’immensité. La délicatesse des photographies, la finesse de chacune d’elles, offre un voyage au sein de l’immensité, une forme de cheminement méditatif.

Car, oui, nous pouvons méditer ici, sur la Nature, sur la grandeur, sur notre impuissance à dominer ce à quoi nous sommes confrontés.

Kant a écrit : « Est sublime ce qui […] prouve une faculté de l’esprit qui dépasse toute mesure des sens », et de fait l’ouvrage livre sa propre illustration de cette phrase. L’Homme dans sa folie se prend trop souvent pour ce qu’il n’est pas, l’hystérie trumpienne n’étant qu’un exemple frappant de cette hubris. Mais à travers les images de Patrick Bogner nous prenons conscience que nous ne représentons rien à l’échelle terrestre, géologique. La beauté présentée ici est sublime, au sens kantien du mot. Sublime parce que sans mesure, sublime parce qu’absolue, sublime parce que relevant d’un domaine presque divin où l’humanité n’est même pas une idée.

Face à ces montagnes, à la neige, face à une cabane si minuscule, qu’éprouver d’autre que notre propre fragilité, notre petitesse ?

Le Grand Nord ici, c’est le domaine du sacré, là où vivent des puissances telluriques, des divinités chthoniennes. En ce lieu, nous n’entrons que par effraction, nous n’éprouverons que l’effroi de ce que nous ne pouvons mesurer, circonvenir, envahir.

Il est des espaces où nous ne serons jamais que tolérés, au mieux. Et encore, cette tolérance se fera au prix de mille souffrances, de dangers terribles.

Il faut dès lors faire preuve de la plus grande des humilités, avoir conscience de notre mortalité et simplement contempler ce qui est, le souffle coupé.

Bien évidemment, un jour ou l’autre des histrions décideront que ce territoire leur appartient, que le lieu peut être couvert de mines, de bâtiments d’acier, qu’il peut être foré, percé, exploité, parce qu’il recèle certainement quelques richesses en son sous-sol.

Ceux-là feraient bien de se pencher plus avant sur Hivernies avant de tenter quoi que ce soit.

D’en tirer les enseignements adéquats : toute tentative de transformation est vaine.

Le lieu s’appartient et c’est ainsi.

À nous d’entendre le message de Patrick Bogner, à nous de simplement en regarder les photographies pour en mesurer la majestuosité.

Site de Patrick Bogner

Site de L’Atelier contemporain

30€

Date de publication : 6 décembre 2024

Format : 21 x 25 cm

Poids : 650 gr.

Nombre de pages : 144

ISBN : 978-2-85035-173-0