Hollywood Nightmares – Raphaël Neal

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©Raphaël Neal / Agence VU

«  […] et pour moi le cinéma est mort. A ce moment-là. Alors que c’était la chose à laquelle j’avais toujours cru, depuis mon enfance. » Ces mots extraits du texte qui accompagne les autoportraits de Raphaël Neal dans le livre Hollywood Nightmares, paru aux éditions Le Bec en l’Air, témoignent de la violence sous-jacente, du désespoir qui irriguent les images et un moment de sa vie. Dans un long entretien avec l’écrivaine et amie Alice Zeniter, le photographe et réalisateur (se) livre (sur) la genèse de ce travail, sur les photographies qui le composent. Parce qu’ici il y a quelque chose du cauchemar, de la désespérance, mais aussi peut-être une forme de catharsis. Raphaël Neal a souffert, a été méprisé, a perdu foi, et pourtant il a su revenir à une énergie créatrice.

Prenant pour modèle les stars hollywoodiennes du milieu des années 1900 dont il collectionne les photographies, ces hommes et ces femmes que l’on portait au pinacle au prix de souffrances, de mépris de la personne, de son être et de son humanité, avant bien souvent de les laisser choir, il s’est grimé, fardé, pour s’en rapprocher le plus possible.

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Mais, derrière l’hommage sincère, derrière le clinquant et le glamour, il y a toujours une fracture, une scorie. Ainsi dans Petrol une actrice vieillissante, peut-être dans les affres de l’oubli ou cantonnée à des rôles subalternes de mère ou de grand-mère, s’asperge d’essence. Suicide ? C’est aussi l’homme au visage dépecé, parce que condamné à porter des masques, de Matinée Idol ou la pin-up blonde aux mains ensanglantées de Photgrapher’s portrait. Ce sont des corps vieillissant couverts de rats, une star affligée d’un strabisme, du vomi ou des excréments. Mais surtout, il y a en permanence une sorte d’équilibre tragique entre l’humour et la violence, entre les sunlights et l’abject de la situation. On relève dans la mise en scène de ses autoportraits un soin du détail, une précision presque clinique qui loin de masquer l’horreur, l’appuie. Des corps souillés, des bouches bâillonnées, des sourires sardoniques, tout est fait pour normaliser l’horreur et pour mettre en avant une seule chose : l’apparence.

Hollywood Nightmares laisse un goût amer à sa lecture. Parce que les images de Raphaël Neal sont à un double niveau. D’abord il y a ce témoignage, ce besoin d’exorciser assez inconscient si on en croit le dialogue entre lui et Alice Zeniter. Alors, qu’il travaille sur un film où le respect n’est pas de mise, il perd son père. Dans une scène surréaliste il évoque les appels qui saturent son téléphone alors même qu’il assiste à la crémation. On le prend, on le jette, on le manipule sans égards. De facto, on peut imaginer que derrière ces portraits de gens du cinéma (les producteurs ou réalisateurs ne sont pas en reste), il y a tout ce dédain de l’Autre, cette morgue dont le photographe est victime. Ces attitudes constituant une forme de norme dans l’industrie cinématographique avant #metoo (et il n’est pas certain que ce mouvement ait asséché ces dérives).

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©Raphaël Neal / Agence Vu

Mais, ce livre ouvre aussi la voie à une réflexion plus vaste, plus poussée sur ce besoin qu’ont nos sociétés d’offrir la primauté au paraître plus qu’à l’être. Le cinéma d’Hollywood en est un excellent exemple, construit qu’il a été sur des apparences normées, des corps de rêve, des visages enjôleurs. Il n’est pas le seul. Que nous apprennent les réseaux sociaux, la télévision, les magazines si ce n’est à inclure les personnes dans un moule ? Il faut être grand, blond, beau, mince, avec une belle et plantureuse poitrine, des muscles saillants, mais pas trop, les cheveux soigneusement peignés, des vêtements bien coupés, plutôt de marque, il faut soigner son alimentation, ne pas manger, ou pas beaucoup, il faut souffrir pour être beau belle, pour être comme les autres. Il faut. Quitte à y laisser la santé, la vie, le respect que l’on pourrait éventuellement se porter, l’estime de soi.

Paraître. Avant tout paraître.

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©Raphaël Neal / Agence VU

Ne parlons pas de la fascination exercée par le pouvoir, l’argent, la gloire. Des starlettes de la télé réalité aux influenceurs spécialistes autoproclamés d’Instagram ou Youtube, en passant par les rappeurs bling-bling, notre société pousse à souffrir, à marcher sur nombre de pieds et à trahir pour parvenir. Rien n’a vraiment changé depuis 1930 et l’individu se retrouve rapidement réduit à néant dans ce maelstrom de paillettes ensanglantées.

Raphaël Neal avec Hollywood Nightmares signe un ouvrage d’une belle profondeur. Il faut prendre le temps de décortiquer chacune des scénettes, d’en disséquer la lumière et la fausse douceur, pour en comprendre la monstruosité et surtout l’immense portée symbolique.  

Le travail de Raphaël Neal a été présenté à la Galerie Vu du 22 novembre 2024 au 10 janvier 2025

Site de Raphaël Neal

Site des éditions le bec en l’air

32€

Dimensions17 × 22 cm
Isbn978-2-36744-196-2
Nombre de pages152
Langue(s)français / anglais
Photographies60 photographies en couleurs
Couverturecartonnée
Parution2024
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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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