Partout le feu – Hélène Laurain
Au détour de l’hiver dans ce moment creux entre les fêtes, les jours à la longueur approximative, les avalanches de papier cadeau et d’agapes, le livre d’Hélène Laurain, Partout le feu, dans sa version Verdier poche (2024), a quelque chose d’exaltant et étrangement désespéré.
Laetitia la narratrice est née trois minutes avant sa sœur jumelle et trente -sept minutes avant l’explosion de Tchernobyl. Elle vit chez son père, Pépou, à Thermes-les-Bains ville déseouvrée de Lorraine où est prévu l’enfouissement de déchets radioactifs. Dans sa cave où elle écoute Nick Cave, Laetitia offre sa colère, son désir de feu, sa haine des SUV, son désarroi face à ce monde en pleine déliquescence, à des mots sur des post-it, des carnets. Elle veut la lutte, la révolte de ceux qu’on méprise et marginalise.
« c’est quelque chose de plus
de plus incandescent
on peut seulement faire semblant
un temps
jusqu’à ce que le désir de feu
nous rattrape »
Oui c’est l’incandescence d’un monde qui se ruine lui-même, oubliant ses propres enfants, s’oubliant, que dépeins avec une langue acide et perlée, Hélène Laurain. Ça parle de lutte et de solastalgie, ça parle d’entraide et de combats, ça parle d’espoirs vains et de consommation absurde.
Ça parle de lendemains qu’aujourd’hui obère.
Le style d’abord. Le style surtout emporte le lectorat dans les méandres de l’âme de Laetitia. Fragmenté, parcellaire, balancé comme un morceau de rock punchy, une chanson des Beastie Boys, ça tangue et ça divague au gré des lignes, ça saute d’une phrase à l’autre sans ponctuation ni majuscule ni quoi ni qu’est-ce. Mais ça vit et ça vibre.
Parce que la narratrice veut attiser ce feu qui couve en elle, qui surgit sur la peau en un eczéma, qui confine parfois au cynisme ou au sarcasme. Mais sans ça, à quoi bon ?
Se réfugier comme le beau-frère dans l’absorption de charcuterie ? Prendre la bagnole là où le train ferait tout aussi bien ? Acheter et fermer les yeux ? Consommer, bosser, polluer.
Roman de la solastalgie, de la Gen Z, de l’absurdité consumériste, du bouleversement climatique, Partout le feu interpelle, interroge. Il renvoi à nos propres comportements, nos propres erreurs. Il ne moralise pas, on n’est pas là pour ça, mais relie l’impérieuse nécessité du feu et du combat, à la possibilité (plus que la probabilité) que l’espèce humaine devienne son propre sauveur.
« c’est le seul moyen de
le seul moyen
d’attirer l’attention sur notre combat
d’entrer en concurrence avec les autres choses
plus divertissantes
ou plus révoltantes »
Vive le feu chantaient les Béruriers Noirs, il y a quelques années déjà. Vive le feu, vive les fous… Peut-être que tout était déjà écrit dans ces paroles, que la génération X possédait les cartes en main pour ne pas faire du monde un grand truc dégueulasse ? Peut-être. Mais ils ne l’ont pas fait, pourrissant un peu plus ce qui l’était déjà. En attendant, si des autrices comme Hélène Laurain ne s’emparent pas du sujet maintenant, il est certain que demain il n’y aura plus rien que des braises, de la pollution et quelques nantis dans des espaces sécurisés.
192 pages
9,50 €
978-2-37856-201-4
mars 2024
(collection d’origine : Chaoïd)