La disparition d’Annette Zelman – Jacques Sierpinski

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©Jacques Sierpinski, Annette Zelman photo de Salvadore Bacarisse

Avec La disparition d’Annette Zelman, été 42, paru aux éditions de Juillet, Jacques Sierpinski signe un ouvrage aussi fort que nécessaire. A la croisée de la photographie, du travail plastique, de l’enquête, les pages dévoilent un récit absurde, tragique.

Annette Zelman, cousine germaine du père de l’auteur, est une jeune femme de 20 ans, juive, polonaise. Comme souvent, à cet âge-là, elle est éprise. Ici, d’un poète dadaïste : Jean Jausion. Au fond rien de plus que de merveilleux. Las, Annette est juive, artiste en devenir, et le père de Jean, Hubert Jausion, médecin réputé, voit leur union future d’un très mauvais œil. Il contacte directement Theodor Dannecker, chef de la Gestapo, représentant d’Eichmann en France, qui fera déporter celle-ci à Auschwitz depuis Drancy le 22 juin 1942, au motif que les mariages entre juifs et non-juifs ne sont pas autorisés par les lois raciales promulguées par le Reich et le gouvernement de Vichy. Elle y périra comme des milliers d’autres.

Jean Jausion, lui, mourra à la ferme de Mogador près de Metz, le 7 septembre 1944, aux côtés des troupes du général Patton lors de la Libération. Son corps ne sera jamais retrouvé.

Il faudra attendre 1961 et la parution de l’ouvrage d’Henri Amouroux, La vie des français sous l’Occupation, pour que ce qui advint d’Annette soit mis au grand jour, celle-ci étant très peu évoquée dans la famille de Jacques Sierpinski.

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La disparition d’Annette Zelman n’est pas un livre de photographies, ou plutôt ce n’est pas qu’un livre de photographies. Il contient des images prises par le photographe, une somme de documents d’archives qui permettent de faire l’aller-retour entre passé et présent. On croise des vues d’Auschwitz, cave voûtée que l’on imagine être une chambre à gaz, barbelés et baraquements que les nazis posaient au kilomètre, mais au détour d’une page les portraits d’une jeune femme et d’un jeune homme, les deux souriants : Annette et Jean. Des fac-similés de lettres où l’artiste clame son amour pour son futur époux, son incompréhension face au port de l’étoile. Puis des dessins, des poèmes, des photographies contemporaines de la gare de Drancy, des mots d’amour. Beaucoup d’amour.

L’œuvre de Jacques Sierpinski ne cesse de surprendre et de questionner non seulement sur ce passé ténébreux et sa mémoire.

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©Jacques Sierpinski

En postface, l’historien Laurent Joly nous éclaire un peu plus sur la dénonciation antijuive sous l’Occupation, en croisant les données historiques et le cas d’Annette Zelman. Si dénoncer ne fut pas le sport national que certains ouvrages, films ou récits mettent en avant, il n’en reste pas moins que la délation (antijuive, communiste, résistant, marché noir et tellement d’autres motifs) a été un phénomène d’ampleur et durable, qui plus est meurtrier puisque les porteurs et porteuses d’étoiles jaunes furent convoyés dans les camps.

Le livre montre ainsi par touches, suggérant plus qu’imposant, que les motifs les moins avouables pouvaient expédier quelqu’un vers une mort quasi-certaine. Un père jaloux de ses prérogatives bourgeoises et effrayé du qu’en dira-t-on par exemple.

La réflexion ne s’arrête pas là.

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©Jacques Sierpinski

Le choix d’osciller entre maintenant et autrefois, nous invite à penser notre histoire, à la repenser. Annette et Jean sont, tout compte fait, des gens « banals » ; ils ont la vingtaine, veulent se marier, et ce qui ne poserait pas vraiment de soucis en des temps normaux devient une épreuve dans une période si dramatique. Or, la simplicité des documents proposés par Jacques Sierpinski interroge. Des lettres. Des poèmes. Des portraits. Tant de choses auxquelles nous ne portons pas plus d’attention que ça et qui ici fondent un récit glaçant et terrible. Alors que la montée des extrêmes droites ne cesse au cœur de l’Europe, et que ces partis développent un discours aussi haineux que banalisé, nous pouvons peut-être reconsidérer notre présent à l’aune de nos passés.

La disparition d’Annette n’est pas qu’un phénomène à la marge, il est le fruit de nombreuses haines, qui plongèrent la même Europe dans des abîmes de fer et de sang.

Or, en oubliant la jeune femme, en invisibilisant son parcours, le champ est laissé aux propagandes, aux mots de terreur. Il faut se rappeler cette poétesse pour se rappeler que l’immonde n’est pas une simple possibilité, mais trop régulièrement une probabilité.

La disparition d’Annette Zelman est plus que nécessaire parce qu’il nous invite à repenser une histoire au milieu de l’Histoire et surtout à espérer que le sacrifice qui a eu lieu n’aura été ni vain, ni perdu.

Site de Jacques Sierpinskihttps://www.sierpinski.fr/-/galeries/publications/-/medias/0191d1ef-b241-77a1-8be5-420af354b646-la-disparition-annette-zelman-ete-42-jpg

Site des éditions de Juillet

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Frédéric MARTIN
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