Répliques – Franck Tomps
Alors que l’actualité met en lumière l’île de Mayotte de la manière la plus dramatique qui soit, Répliques du photographe Franck Tomps, paru aux éditions Loco, offre un vaste panorama de la situation actuelle de cet espace.
Le projet, lauréat de la Grande Commande de la BNF, est unique en son genre puisqu’il est le premier avec un parti-pris artistique mené sur ce territoire.
Mayotte, que nous connaissons malheureusement trop peu en métropole, est située dans l’Océan Indien, à quelques distances des côtes de Madagascar. Autour d’elle, au sein d’un lagon unique, se trouvent les îles de Grande Comores, Anjouan, Mohéli. Mais la spécificité mahoraise tient dans le fait qu’elle est le 101éme département français depuis 2011 et qu’elle bat le record du plus pauvre puisque le revenu moyen est de 282€. Alors que la vie y est difficile, notamment par l’héritage post-colonial, les soucis d’insécurité, de migrations internes, il y a tout de même un mouvement de modernisation sociale, économique. Il ne faut pas oublier, de surcroît, que la culture y est à la fois africaine et musulmane, assez éloignée de celle à laquelle nous sommes habitués, mais que nous sommes pourtant en France.
Ce sont ces divers aspects que Répliques éclaire.
Deux jeunes hommes posent fièrement raquette de tennis en main. Le feu dévore la broussaille, on s’apprête peut-être à mettre en culture. Un texte nous rappelle que l’endroit fut terre d’esclavage. Un enfant dort, un homme à genoux prie, un mouton écorché, des bananes, base de l’alimentation, des mots aussi qui évoquent l’identité, le déracinement, la fuite, la pauvreté… On croise des militaires, des migrants, des hommes, des femmes, un peuple et une culture. Les photographies explorent des aspects si variés, si contradictoires parfois, que la polysémie de Mayotte nous submerge.
On ne sait rien de nos territoires outre-mer. À peine quelques images d’Épinal de plages au sable blanc, de mer turquoise. Mais la réalité crue nous échappe parce que nous n’y avons pas particulièrement accès et que les pouvoirs publics, les médias métropolitains les évoquent uniquement quand tout va mal. Ils sont les parents pauvres de la République.
Or, le travail photographique de Franck Tomps s’attache à narrer l’interligne, le non-dit, non su du lieu. Mayotte n’est pas qu’un confetti au milieu d’un océan immense qui permet à la France d’asseoir sa puissance maritime et géostratégique. Ce sont des femmes, des hommes, des enfants qui parfois vivent dans le dénuement le plus total, des êtres de chair et de sang aux passés complexes, douloureux, à la culture protéiforme, mais aussi des citoyens avec les mêmes droits, devoirs que nous, la même école, la même république.
La force des images de Répliques tient à ça, en cette capacité à nous mener à la rencontre de. Il y a une réelle beauté dans ces portraits, ces natures mortes, ces paysages. Une beauté en décalage parce que là-bas ne ressemble pas à ici, mais là-bas, c’est aussi ici. Il est impératif de comprendre cette dichotomie pour comprendre ce qui se joue.
On peut s’interroger sur le devenir de ces espaces ultramarin à moyen et long terme. Ils semblent délaissés par les pouvoirs publics (un certain ministre n’a-t-il pas préféré Pau à Mamoudzou ?), en déshérence complète quelques fois. Pourtant, chacune des images contient autre chose, une force, une puissance de vie, de bouleversements à venir, de révélations qu’il devient urgent de reconsidérer ce regard trop souvent condescendant.
Le sous-titre du livre est Mayotte en république. Tout est dit. L’île ne saurait être abandonnée, ces habitants non plus puisqu’ils sont français, françaises.
Répliques nous invite de la plus belle manière qui soit à prendre la mesure de cette situation. Derrière le paradoxe des images, des lieux, des cultures qui nous paraissent si différentes, on trouve nos frères et sœurs en liberté, égalité et fraternité.
Espérons qu’un jour, la République française une et indivisible en prenne vraiment conscience et qu’elle voit en eux la force vive d’une nation pluriculturelle.
Si vous souhaitez venir en aide aux sinistrés : Fondation de France
45€