Chambre 812 – Louise Narbo/Dominique Perrut
Paru chez Arnaud Bizalion éditeur, Chambre 812 offre une proposition éditoriale originale puisque le livre mêle les photographies de Louise Narbo aux écrits de Dominique Perrut. Ou l’inverse.
L’auteur revient sur le souvenir d’une chambre, la 812, qu’il occupât en 1975 près de la place Denfert-Rochereau. Le souvenir ici est double, puisque des insert de son journal intime de l’époque sont associés à des textes récents qui en quelque sorte commentent ces fragments antérieurs. La photographe, elle, nous invite au même parcours à travers la mémoire de ses images inventant un récit fictif de perte et retrouvailles. Les deux protagonistes mêlent ainsi leurs voix au sein d’un dialogue où les passés, les présents sont indissociables.
« 4 novembre 1975. Quand juin revient avec son odeur cruelle de foin coupé, il faut garder pour soi cette ivresse et ces larmes. » « Et dans les soirées solitaires, face à de vastes assemblées, je m’enflammais. »
Un chien noir traverse l’image, une silhouette indistincte à une fenêtre. Des mains masculines.
« Jeudi 29 avril 1976. Je perds contenance, je bafouille, ridicule. » « Quand je revois cette époque, souvent c’est la dérision qui l’emporte. »
Un feu d’artifice. Un mur maculé. Un studio au lit défait avec quelques objets hétéroclites au sol.
Il faut accepter de se perdre pour circonvenir Chambre 812. L’ouvrage invite les lecteurs et lectrices sur des pistes qui sont autant d’emboîtements de temps. Du récit de l’étudiant aux images-mémoire de la photographe, chaque page porte des pans d’une histoire qui se relie et se relit sans cesse. Dominique Perrut revient, bien des années plus tard, sur ce parcours qui fût le sien, sur des choix qu’il fit à ces moments de sa vie. Il y a quelque chose de touchant à lire les mots du jeune homme plein de doutes et d’espoirs, et, quelques pages plus loin, de comprendre que l’adulte d’âge mûr qu’il est devenu les interprète, les valide, les comprends. Presque comme si un père pouvait parler à un fils qui serait lui. Mise en abyme à laquelle les photographies de Louise Narbo répondent puisqu’elle tisse la trace de sa propre histoire en en créant une. Les mémoires de Louise se contiennent dans le rectangle d’un tirage, les fragments minuscules qui habitent ses images. Ce sont des portes closes, des fenêtres barricadées, peut-être rappel de la fuite de l’Algérie, de ce passé qui ne peut être oublié et qu’il ne faut pas oublier. L’Algérie, c’est aussi ce pays vers lequel Dominique veut aller enseigner… Les liens entre les deux se tissent ainsi d’éléments qui se rencontrent.
Mais il n’y a pas que ça. Il ne pouvait y avoir que ça. Avec les mots de l’écrivain, du jeune homme en proie à l’exaltation ou au désarroi amoureux, on pressent la ou les rencontres qui se nouent dans ce qu’a saisi Louise Narbo.
Il y a l’amour et l’incertain, des heures de questionnement et des mains qui se cherchent, une chemise d’homme suspendue et une femme en jupe fleurie.
Il y a surtout quelque chose d’universel dans ce travail à deux regards. Nous avons tous et toutes éprouvés très certainement ces errances qu’elles soient amoureuses, psychologiques ou conjoncturelles. Des lieux nous habitent parce qu’ils furent importants pour notre devenir. Chambre 812 nous parle ainsi de nous, de nos passés, de notre présence au monde. La photographie devient au fil des pages ce qu’elle peut être quand elle est maniée avec intelligence et délicatesse : la reconstruction d’un moment qui n’a existé que partiellement. Ce ne sont pas des photos souvenir, mais plutôt des souvenirs photographiés.
Ceux-ci se révèlent dans les morceaux de page scotchés d’un carnet de 1975.
Au fond, qu’est-ce que tout cela si ce n’est qu’un choix mémoriel ? Dominique Perrut et Louise Narbo ont pris leurs propres décisions, crée et défait leurs propres mondes. Pourtant, en lisant Chambre 812 nous vivons avec et par eux ces passés si vivants, ces amours incertaines.
Nous ne pouvons qu’y souscrire parce que tout cela sonne d’une manière si forte à nos âmes qu’il serait inconcevable de ne pas le faire.
Site de Arnaud Bizalion éditeur
33€