Le bruissement entre les murs – Clara Chichin/Sabatina Leccia
Les éditions sun/sun (Céline Pévrier) proposent avec Le bruissement entre les murs, un objet livre d’une grande beauté et d’une rare délicatesse. Clara Chichin et Sabatina Leccia en mêlant leurs arts (photographie, dessin, piquetage…) crée une œuvre hybride et multiple pleine de force.
Les deux artistes ont choisi Les murs à Pêches de Montreuil comme espace d’exploration lors de leur travail conjoint. Pour rappel, ce lieu naît sous Louis XIV et développe une activité de maraîchage et de fruiticulture qui atteindra son apogée au XIXème siècle. Mais dès l’arrivée du chemin de fer, les productions s’éloignent et Les murs à Pêches perdent peu à peu leur prédominance. Dans le même temps, la ville de Paris et la banlieue s’agrandissent, s’étalent et les 34 hectares de cet îlot vert, vite cernés par les grands ensembles, sont menacés notamment par le Grand Paris et un projet de construction de Bouygues. Toutefois, il semble que le monde associatif ait convaincu les pouvoirs publics et que ceux-ci ont pris conscience de l’aspect patrimonial de l’endroit, qu’ils cherchent à protéger peu à peu des promoteurs.
En décidant de le découvrir, Clara Chichin et Sabatina Leccia interrogent non seulement ce qu’il est, mais aussi ce qu’il propose.
D’abord des feuilles, en noir et blanc, certaines parsemées de minuscules perforations. Un peu après un mur, d’autres feuilles, des fragments, des territoires entrelacés, des écarts, des perforations encore comme des chemins presqu’invisibles menant d’un moment à un autre, d’un rêve au suivant. C’est peut-être l’automne, l’hiver.
Puis, soudain, c’est la couleur, un jaune issu de teintures végétales, un violet, un rose… Les plantes prennent une autre vie, loin de la photographie qui les fige. Des buissons, des herbes folles, des fleurs, des murs, une explosion de couleurs, le printemps et l’été sont là. Une féerie. Les images sont grattées, piquetées, dessinées et on assiste à la naissance d’autre chose, à la renaissance.
C’est une fête heureuse, un moment de bonheur dans un monde de béton. La vie suit un cycle immuable loin du fracas des Hommes.
Le bruissement entre les murs est d’abord un très bel objet. Couverture en papier washi fait main par lʼAtelier papetier et imprimée en risographie, en deux versions (voir sur le site de l’éditeur). Mais il ne faut pas le réduire à ça.
Les deux artistes en choisissant Les murs à Pêches et en intervenant sur l’image ouvrent un questionnement plus large. La métropole parisienne ne cesse de s’étendre et les îlots de verdure deviennent de plus en plus rares, surtout des parcelles comme celle à Montreuil. En effet, l’extension urbaine n’a que faire de la biodiversité, de l’histoire : il faut construire, s’étendre, investir. Or, en s’appropriant ces murs, Clara et Sabatina lèvent le voile sur la dichotomie entre l’humain et le vivant. Voilà un lieu à rebours de la modernité, à rebours de la marche du monde. Pourtant, il existe, elles l’ont photographié, cerné, exploré. Au-delà du témoignage des images, il y a aussi la volonté de tisser quelque chose avec celui-ci et pourquoi pas de donner à l’humanité la conscience qu’elle n’est pas une au milieu du tout, indépendante, non reliée.
Le choix fait de modifier la photographie initiale par l’adjonction de marques, de couleurs, permet au lecteur de prendre conscience qu’un espace naturel même anthropisé n’est pas monobloc et immuable. Dans ces perforations, ces griffures, ces teintes comment ne pas imaginer, si ce n’est voir, tout ce qui fait la richesse du site. Il y a le végétal, le minéral, l’animal et tout ça vit son existence, coexiste, cohabite sans nous, grandi, évolue.
En explorant, en modifiant des possibles émergent. Par conséquent, il serait envisageable de vivre en harmonie avec ce qui est sans nécessairement devoir le sacrifier à la toute-puissante économie. Il serait aussi imaginable de revenir à nos âmes d’enfant, à notre capacité d’émerveillement. Le Beau est dans une somme de détails, de fragments, de passages imaginaires, de regards qui différent.
Clara Chichin et Sabatine Leccia ont justement pris ces chemins de traverse que ce soit en se rendant dans ce lieu d’exception ou en décidant que l’image ne pouvait se suffire en tant que telle. En s’écartant, elles nous convient à les suivre et à chercher une (re)connexion à ce qui nous entoure. Parce que vivre, c’est aussi, surtout, contempler le ciel, les herbes folles, les murs fissurés et pas un sol de béton.
Le Bruissement entre les murs est présenté samedi 9 novembre 2024 au samedi 25 janvier 2025 à la Galerie XII – Paris
Evènement à la Galerie samedi 7 décembre à 17h : Un art de l’attention : une conversation animée par Anne de Malleray*, aux côtés de Clara Chichin et Sabatina Leccia. Places limitées, pensez à vous inscrire.
65€