Révolu : contemplation d’une dystopie – Michel Lafleur
Publié aux éditions révolues, Révolu : contemplation d’une dystopie par le photographe Michel Lafleur s’interroge sur le devenir des stations alpines de ski. Alors que l’enneigement moyen ne cesse de diminuer en raison des modifications du climat, que le modèle proposé par ces espaces (tourisme de masse, bétonisation massive d’espaces naturels, utilisation importante d’énergies fossiles) est de plus en plus critiqué, quel avenir pour ces lieux qui par ailleurs ne sont habités réellement que quelques mois de l’année ? Le livre est accompagné de très beaux textes de Sylvain Grisot et Guillaume Desmurs.
L’ouvrage ne propose pas de solutions, ne juge pas non plus. C’est d’abord une forme de bilan d’une dystopie née dans les années 60, 70 quand le tourisme hivernal devient accessible au plus grand nombre. Ces photographies sont une sorte de bilan de ce qui a pu se faire, et qui reste ancré dans une époque. On peut repenser au Club Med’, aux Bronzés font du ski, on peut repenser à Skiez à Val Thorens et respirez l’air pur, force est de constater que tout ça est daté, et n’a pas ou très peu d’avenir. Bien entendu, il reste le recours aux canons à neige, des investissements aussi coûteux financièrement que pour les nappes phréatiques. Mais est-ce si raisonnable que ça ?
Alors que faire ?
D’abord contempler les images saisissantes de Michel Lafleur. L’ouvrage ouvre sur la station de Flaine avec une fiche d’identité recensant tout ce qu’il y a d’important à savoir sur cette création complétement artificielle. Altitude du domaine skiable, promoteurs, architectes, capacité d’accueil, nombre d’habitants à l’année, coordonnées GPS… Tout est dit. Puis ce sont des images qui s’étalent sur environ trois ans.
Quelque chose de brutal heurte le regard du lecteur : de ces bâtiments, ces structures immenses et futuristes émane un sentiment de désolation absolue, d’abandon complet. Pas âme qui vive sous le soleil printanier ou estival mais des barres d’immeubles aux architectures tout droit sorties d’un film de série Z des années 70. D’un instant à l’autre pourraient surgir quelques aliens bizarroïdes, des mutants… L’humanité ici n’existe pas, n’existe plus. En parcourant les autres mieux (La Plagne, Chamrousse, Avoriaz etc.) le même saisissement nous étreint. Tout est désespérément vide, même le manège bâché.
Pourtant, c’est très exactement ce qui risque de se produire à moyen terme et ça hiver comme été. Il ne neige plus comme avant : selon Météo France, les Alpes ont perdu environ un mois d’enneigement et la hauteur de neige moyenne entre 1 000 et 2 000 m a baissé de 2,8 cm par décennie. Le modèle finira par ne plus être viable.
Alors que faire ?
Révolu : contemplation d’une dystopie ne propose pas de solutions, mais un constat aussi fort qu’effrayant. L’hubris de l’Homme l’a conduit à bâtir là où il n’avait pas sa place, à créer un monde dans le monde, une sorte de royaume de pacotille pour pouvoir satisfaire ses élans joueurs. Il se retrouve maintenant face au désastre et n’a apparemment pas beaucoup réfléchi aux solutions. Michel Lafleur avec son regard plein d’objectivité pointe ça : le vide, l’absence, le silence là où devraient se trouver la joie, le bruit. Cette objectivité agit comme un électrochoc et nous nous interrogeons sur le devenir de ces immeubles qui pourraient finir par n’avoir aucune utilité dans un avenir assez proche.
Faut-il réinventer le modèle ? Développer d’autres activités ? Abandonner les lieux en acceptant que nous avons été trop loin ?
Personne ne peut prétendre avoir une réponse absolue et fiable. Toutefois, il va falloir que les décideurs, les politiques et les vacanciers y réfléchissent parce que ces tonnes de béton, bois, verre même devenues obsolètes n’en demeureront pas moins omniprésentes.
Révolu : contemplation d’une dystopie charme le lecteur par la qualité et l’intelligence du propos. Derrière la géographie, derrière le territoire, le paysage, il y a toujours autre chose. Des vies humaines, des désirs, des richesses, des guerres, des croyances ; pourtant, ici, c’est surtout l’avenir qui sinue en filigrane.
Et celui-ci n’est pas très brillant.
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