Brûlure – Linda Tuloup
« Tu dis ce que j’aime, c’est la brûlure […] tu tiens l’allumette, c’est elle qui bouge, pas le Pola […] tu dis c’est beau. »
Ces mots de Colin Lemoine qui accompagnent le nouveau livre de Linda Tuloup, Brûlure, paru chez André Frère Éditions sont à l’unisson de l’émotion éprouvée à la lecture.
Qu’il est touchant ce petit livre, presque un recueil secret, magnifiquement maquetté par Ruedi Baur ! Oui, c’est beau ces polaroïds brûlés, ces couleurs diaprées, ce corps qui se réinvente de photographie en photographie, c’est beau ce choix d’altérer ses propres créations pour en sortir autre chose, c’est beau surtout ce long dérèglement de ce qui est pour aller vers ce qui advient.
À l’origine, alors que le confinement avait sonné le glas de nos libres mouvements, la photographe a choisi de se mettre en scène, multipliant les autoportraits. Puis, par on ne sait quelle volonté alchimique, elle transforma l’image en une autre, elle transforma la personne en une autre en la brûlant.
Tout se fait par le feu, pas de ces feux vengeurs et destructeurs non, des feux aux allures de guide, de compagnon de réinvention, des feux qui traversent l’œuvre de l’artiste.
Les polaroïds découvrent de nouveaux territoires, les images prenant des formes étranges, nouvelles, parfois klimtiennes ou comme des icônes russes. C’est une brûlure douce, de renouveau. Ainsi, à sa manière, Linda nous invite dans des espaces inconnus : les terres rouges d’Afrique, des arbres immenses, et de-ci de-là quelques fragments de toiles anciennes. Nous passons entre les pages, croisant le corps nu paré de chatoiements, les lieux, les temps. Le papier a cloqué, s’est racorni, mais tout reste à inventer parce que rien n’a été détruit.
Nous cherchons parfois dans nos vies à les modifier. C’est un changement de métier, d’amour, de lieu de vie. La manière importe assez peu puisqu’elle appartient à celle ou celui qui l’a fait sienne. Il est plus rare d’aller vraiment complétement au fond des choses, de détruire sciemment pour mieux recréer. Le courage de l’artiste, ici, dépasse la simple capacité de changement. En effet, qui oserait détruire son œuvre de façon si radicale ? En prenant de tels risques ? La brûlure a quelque chose de purificatrice, certes, mais aussi d’incontrôlable et en choisissant de promener une flamme sur un papier photo d’une fragilité notoire, Linda Tuloup se livre à un rite à la fois barbare et bouleversant.
Pourtant, la rupture opère, magique. C’est l’Œuvre au Noir, la purification, qui aboutira plus tard à l’Œuvre au Blanc, puis au Rouge : la grande transformation. Il n’y a plus une femme, mais des femmes, un corps, mais des corps. Des couleurs nouvelles naissent, des mondes aussi. Au gré des pages, le lecteur se trouve plongé dans un chemin dont il ne connaît pas l’issue, dont il ne sait même pas s’il y en aura une.
Et nous contemplons cette métamorphose absolue avec les yeux écarquillés par la grâce du tout.
Qu’elle est belle cette Brûlure, qu’ils sont sublimes ces mondes réinventés. Et que dire d’autre que notre admiration la plus sincère devant toute cette audace, cette volonté de changement ?
Il est bien difficile de penser après ce travail, bien difficile aussi de ne pas y voir une forme de signe, d’invitation à oser.
Parce que nous sommes peut-être enfermés nous aussi, de diverses manières, et nous n’osons peut-être pas aller vers quelque chose de différent, accomplir notre propre Œuvre.
Et c’est Linda Tuloup qui nous montre la voie, qui dépouillée de tous les artifices pose sa flamme sur une existence pour en faire une autre.
Qu’importe d’ailleurs ce qui pourrait se passer, ce qui va se produire, pas plus qu’elle ne maîtrise les flammes nous jugulons l’avenir.
Est-ce si important ?
Brûlure est le grimoire qui nous relie au bouleversement, à nous d’avoir enfin le courage de tenter et de créer la Beauté.
Dans le cadre de Photo Saint Germain, le travail de Linda Tuloup est présenté par la galerie Olivier Waltman du 30 octobre au 23 novembre 2024 : plus d’informations ici.
Linda Tuloup sera présente à Paris Photo sur le stand de André Frère Éditions le 07 novembre à 17h (stand K10) pour signer son ouvrage.
49€