Solstice – Claudine Doury
Chaque livre paru chez Origini Edizioni est un enchantement, Solstice de la photographe Claudine Doury ne dérogeant pas à cette règle. D’abord, il y a l’objet. Au-delà de la simple maquette, les ouvrages deviennent des œuvres en soi. Finesse des papiers, délicatesse du fil d’or en couverture, mise en page à l’italienne qui rappelle quelque livre de secrets… Tout est beau, abouti, précieux. Ensuite, viennent les bouleversantes images de la photographe. Pendant dix ans, elle a parcouru les terres russes, polonaises, lettones, nordiques chaque 21 juin pour aller à la rencontre des célébrations de ce jour où le soleil ne s’éteint pas. Appelé́ Kupala chez les Slaves, Kupalès chez les Baltes, le solstice est un moment de fête, de joie que traverse des traditions. Et Claudine Doury a photographié inlassablement celui-ci. Toutefois, nous ne sommes pas dans un reportage stricto sensu, mais plutôt une forme de conte onirique où le réel croise la magie.
Par la fenêtre entre des lumières tamisées, la petite chambre, presque une alcôve, en est baignée. L’eau des fleuves, des lacs, des rivières porte des jeunes filles nues ou vêtues de blanc. Ces fées fragiles s’y baignent, jouent, célèbrent ces heures si longues de clarté. On marche dans le vert tendre des sous-bois les cheveux semés d’herbes, de pétales. Il pleut des étincelles d’un feu immense autour duquel tourne une ronde sans fin ; une femme ange tresse ses cheveux immenses. Le monde vient de se figer alors que la nuit et le jour n’existent pas vraiment.
Avec Solstice, nous plongeons vers des temps immémoriaux, des heures païennes d’adoration, une époque où les transmissions se faisaient par les mots, les chants et les rites. Claudine Doury en parcourant ces contrées y croise des traditions vivaces qui ramènent le lecteur bien loin dans l’avant. Et pourtant, les photographies ont cette densité et cette actualité de la contemporanéité.
Les personnes sont ici pleines de joie, de lumière. Elles célèbrent toute la gaieté de la simplicité. Agissant ainsi depuis que les saisons changent, elles se baignent dans des eaux fumantes de brume, perpétuent ce que leurs ancêtres, leurs parents avant elles leur ont transmis. Et peu à peu par une forme de translation de l’image, le lecteur se trouve plongé dans un univers où il s’attend à voir surgir quelque druide, une ondine ou bien des lutins facétieux et rieurs. Le bonheur et la douceur imprègnent les pages du remarquable livre d’Origini Edizioni. L’heure est à la féerie, l’enchantement.
Et, avouons-le, ça fait du bien.
Parce que Solstice, c’est aussi la mise à mal de ce XXIe siècle mercantile et globalisé. L’autrice nous invite à quitter les pages web, l’aliénation de nos téléphones portables, le consumérisme version Musk, pour nous ramener à l’essentiel : la Nature, le ciel, l’eau, la lumière. La Joie.
Bien entendu, il ne faut résumer cet ouvrage à un pamphlet anticapitaliste qu’il n’est pas ! Mais il ouvre des perspectives, une lecture de l’Autre et de son existence, qui peut nous inciter à réfléchir à nos propres modes de vie. Elles ont l’air heureuses les jeunes femmes en costume traditionnel, elle semble paisible cette cuisine où le soleil luit à peine. Comme si tout était revenu à une forme d’essentiel où l’on aurait abandonné le superflu. Le vent, le passage des saisons, les fruits qui poussent et mûrissent, l’herbe et les nuits étoilées, des instants qui succèdent à d’autres en un cycle infini et immémorial.
Claudine Doury saisit la grâce du grand tout, de ce qui est. Pendant ces dix années, elle a capté un monde que nous pourrions penser mort, broyé par une forme de modernité délétère, mais qui reste vivace et vivant.
Solstice tombe à point nommé en ces heures plus courtes d’hiver approchant puisqu’il donne l’espoir infini du renouveau.
90€