A Noiseless Noise – Swiffer Roux
La chanson A Noiseless Noise de la chanteuse PJ Harvey ouvre par ces mots : « Absence, absence, absence… » Et c’est d’absence dont il est question aussi dans le livre éponyme de Swiffer Roux. Construit lors d’un séjour dans la ville du Havre, cet ouvrage fait écho à des deuils qu’a dû vivre le photographe belge.
Avec pour autre bande-son l’album Carnage de Nick Cave, les images de A Noiseless Noise sont empreintes d’un bruit silencieux, d’une musique sans instrument : celui de l’âme, des jours un peu sombres, celui des heures à marcher dans une ville inconnue.
Une plage de galets, une silhouette et le ciel marbré de nuages. On devine une sorte de fraîcheur malgré le soleil. Il y a le lointain murmure des vagues auquel on ne prête pas attention.
Puis ce sont des bâtiments, des structures de béton, une ville comme endormie sur elle-même. Les murs se cognent au regard, un homme à tête de mouette contemple la scène. Il n’y a rien ou pas grand-chose, juste soi avec ces sons qui n’en sont pas encore, qui n’en sont plus. Le Havre n’est qu’un projet vague, qu’un lieu où l’on se perd dans les méandres de ses propres mémoires, de ses émotions.
Swiffer Roux nous invite, avec A Noiseless Noise, à une longue déambulation intérieure à l’écoute de ce bruit inaudible qui donne le rythme de nos existences. Ici, on prend rapidement la mesure d’une forme de désarroi qui habite l’auteur. Derrière chaque photographie se cache, en embuscade, comme solitude triste. Celle de celui qui vient de perdre des proches et tente de panser leurs absences ; aussi de celui qui marche dans une ville inconnue et côtoie des gens qui le sont tout autant. Mais on ne peut réduire ces pages à une simple compilation de moments, fussent-ils intimes. Il y a, en effet, une profondeur à ces images qui donne la sensation que derrière elles se trouve (se cache ?) quelque chose de plus complexe sur la nature humaine, sur la mélancolie, ce « bonheur d’être triste » comme le disait Victor Hugo.
Il faut parfois du temps, beaucoup de temps, pour accepter la perte de ceux qui nous étaient chers. Les deuils multiples, les sourires et les mots absents, des mains, des odeurs que nous ne connaîtrons plus jamais. Chaque moment devient un instant sans, creux et vide. C’est ça aussi qui transparaît dans ce livre court, dense et puissant. Une plage, une falaise, un intérieur, une boussole… Tant de lieux, d’instants qui portent en eux un murmure à peine audible et qui pourtant fondent les moments les uns après les autres.
Mais A Noiseless Noise nous invite aussi à autre chose. Comme une forme d’introspection… Bien que la ville soit le fil rouge du livre, elle n’est que le support à la réflexion de Soi et sur Soi. Quels sont nos propres bruits silencieux ? Quels sont nos propres lieux de recueillement ? Nos espaces où gisent nos émotions, nos émois, nos doutes, nos peines ?
Page après page, image après image, tout prend sens, se construit là, en nous, dans nos âmes et leurs musiques.
Chaque lecteur possédera ses propres sensations, et chaque photographie du livre fera naître chez lui une palette de ressentis. Le froid de l’air, le mucus de l’anguille glissante, le sel sur les lèvres fouettées par les embruns, la tristesse du crépuscule, les fenêtres et leurs mystères… Et tant d’autres choses.
Swiffer Roux nous livre un travail polysémique, complexe et complet. Il faut prendre son temps, tendre l’oreille et guetter ces murmures. Puis s’arrêter longuement sur une image. Une autre… Rêver. Penser. Et peut-être rire ou pleurer. Avec un bruit de silence.
Il est disponible à L’Enfant Sauvage Bxl et à la boutique du Musée de la Photographie, Charleroi au prix de 15€ ou auprès de l’auteur