Qui est cet Olaf que Pierre Toussaint a suivi et accompagné durant plusieurs semaines dans les rues arlésiennes ? Personne ne sait, personne ne saura… Paru chez Primitive Press, Olaf n’est pas un récit, n’est pas un reportage, n’est pas un documentaire. C’est une rencontre au sens le plus strict du mot entre le photographe et cet homme qui vit dans un escalier minuscule au pied d’un pont qui relie la ville au quartier de Trinquetaille.

Il marche. Il marche dans la rue, barbu, légèrement voûté, enroulé dans une vaste couverture, les pieds nus ou en sandalettes. Est-ce un sans domicile fixe, un clochard, ou, au-delà de ces mots stéréotypés qui ne servent qu’à catégoriser pour mieux enfermer, un être humain, ermite d’un monde qui ne veut pas de lui, avec ses doutes, ses joies, ses peines ?
C’est la nuit, le jour, un escalier, c’est Arles, mais ce n’est pas Arles, c’est un regard acéré, une déambulation infinie et céleste, le recommencement. Sisyphe d’un monde qui n’existe plus, il marche sans cesse, gravit son escalier et le redescend.
Il n’y a personne d’autre que lui, Olaf, et le photographe qui peu à peu disparaît. Il ne reste plus que cet homme dont on ne sait rien. Dont on ne saura rien. Une énigme qui vit dans un escalier au pied d’un pont.

Presqu’une pièce de Ionesco, un bref roman de Dostoïevski, la condition humaine selon Camus.

Avec ce livre énigmatique, l’éditeur Joseph Hogan, nous invite dans un monde étrange et baroque où les repères semblent s’abolir un à un. Comme dit précédemment si le lieu est nommé en exergue (Arles), il s’efface devant les images de Pierre Toussaint. Le Rhône, l’axe principal, la colonne du récit ne devient qu’une forme de punctum récurrent, un repère visuel au même titre que cet escalier où vit Olaf.
Abolir ainsi les lieux, c’est donner aussi une force narrative particulière au récit. Le personnage principal semble seul, sans famille, sans amis, sans même quelques frères de misère pour l’accompagner. Or, en effaçant les lieux, en sortant l’histoire de tout repère spatial (et même de repères temporels trop francs), Pierre Toussaint semble renforcer le poids de cette solitude infinie. L’errance comme seul objet d’existence, c’est page après page ce marcheur, rappelant les statues de Giacometti, qui va on ne sait où, qui vient dont ne sait où.
Il y a quelque chose d’angoissant dans ces images, mais plutôt une forme de déroute intime face au silence qui les entoure.

Olaf ne parle pas, ne sourit pas, il s’emmitoufle dans sa couverture et nous nous retrouvons peu à peu nous aussi dans cet état de claustration.

Peut-être faut-il s’arrêter ici et imaginer qui est Olaf ? Nous ne savons rien de lui, pourtant, il symbolise toutes ces personnes que nos sociétés rejettent. Il représente ces chutes infinies où l’on perd tout avant de devoir vivre avec rien et où paria parmi les parias, il ne reste plus que des espaces vides de sens pour nous accueillir.
Olaf, ça pourrait être une histoire universelle, celle de la misère, de la rue. Mais peut-être est-ce aussi, parce que le photographe a pris le temps de l’accompagner, l’histoire de l’altérité, du regard d’humanité que l’on porte sur l’autre.

Il est compliqué de savoir. Olaf peut tout aussi bien avoir choisi de son plein gré de fuir la compagnie des Hommes, de devenir un anachorète s’éloignant du bruyant du monde pour contempler l’eau du fleuve et méditer sur la futilité et la fugacité. C’est cet incertain qu’entretien Pierre Toussaint dans les images d’Olaf qui donne au livre toute sa force.
Aucune réponse n’est donnée, ni même proposée ou suggérée. Le lecteur se débrouillera avec ses pensées, ses représentations, ses certitudes. Et c’est très bien ainsi.

Pierre Toussaint et Primitive Press signent ici un livre assez remarquable qu’il convient de lire avec sagacité.

Site de Pierre Toussaint

Site de Primitive Press

28€

76 pages
format 21 x 30 cm
impression offset 
couverture souple avec rabats
intérieur papier munken lynx 120 gr
600 exemplaires
mai 2024
ISBN  978-2-9602590-4-9