Désirs sans visa – Anna López Luna/Mounir Gouri
Publié par la maison d’édition EYD (Caroline de greef) Désirs sans visa met en regard les travaux d’Anna López Luna et Mounir Gouri, artistes qui se sont rencontrés en résidence à Alger en 2017.
Mêlant une palette variée et complexe de médium (films, photographies, dessins, textes) Désirs sans visa est un ouvrage complexe et foisonnant où les deux univers très complémentaires sont constamment en écho.
Il y a d’abord l’omniprésence des corps. Des corps meurtris de cicatrices photographiés, des corps poumons où naissent des réflexions sur la guerre, l’étouffement, des corps nus qui dénoncent, des corps meurtris, vieillissant…
Puis, la récurrence des mots de ceux qui fuient la guerre, la faim, les violences, quittant un pays, le leur, pour aller là où serait un espoir potentiel, possible. Espoir qu’on leur refuse par une simple mention sur un papier administratif.
Enfin, des fantômes. Beaucoup de fantômes et l’Algérie, peut-être, comme très d’union, comme quintessence de ces envies de vivre, de partir, d’exister, d’être.
Désir sans visa s’apparente à une lente exploration où les travaux d’Anna López Luna et Mounir Gouri s’intriquent, se répondent, dialoguent, se heurtent et se complètent.
On ne sait finalement qui a produit quoi (sauf si on regarde les crédits présents à la fin de l’ouvrage), même si des pistes sont ouvertes, des cailloux semés nous poussant parfois à suivre des chemins de traverse, des écarts pour tenter de relier ces axes, ces pages, ces images, ces peintures.
Parce qu’il ne s’agit pas ici d’un livre photographique à proprement parler. La photographie n’est qu’une proposition parmi d’autres pour dire. Dire quoi ? Dire l’humanité. Dire la peur. Dire la fuite. Dire l’espoir. Dire l’ailleurs. Dire la beauté du monde, sa poésie et sa fantaisie. Dire sa violence, ses peines, son absurdité.
Au gré des pages se dessine la géographie complexe qu’explore les deux artistes. Le déracinement comme fil conducteur nous mène à penser, nous rappeler, que ces exils sont multiséculaires. On évoque les migrants subsahariens ou moyen-orientaux aux journaux télévisés, faisant comme si nous découvrions une réalité, mais des humains qui cherchent espoir, justice, liberté ailleurs il y en a depuis toujours : Républicains Espagnols des années 30, Portugais fuyant Salazar, et avant eux Polonais ou Irlandais cherchant ailleurs de quoi vivre.
Et avec au cœur de cet exode la volonté de retrouver la dignité d’être, simplement. Cette dignité de pouvoir se nourrir et nourrir ses enfants, d’avoir un lieu pour dormir, manger, s’aimer, de ne plus craindre les violences de la police ou de l’armée.
Désirs sans visa est un condensé polymorphe des aspirations de tous. Nous sommes semblables à celui qui quitte tout en espérant trouver quelque chose. En tous cas quelque chose d’autre que ces absurdités qu’il a délaissé.
Et les travaux d’Anna et Mounir ont cette complémentarité absolue. Chacun des deux artistes bien qu’ayant sont univers propre, ses marques propres, mêle avec talent ses œuvres à celles de l’autre.
Il y a quelque chose de bluffant dans le livre parce que le rythme, le souffle ne se perd jamais dans les méandres de la narration.
Si nous devions expliquer à quelqu’un ce qu’est simplement l’humanité, ce que sont nos désirs fondamentaux, nul doute que l’ouvrage publié par Caroline de greef trouverait une place de choix. Il n’est pas besoin de longs discours, il n’est pas besoin de clamer haut et fort, il faut simplement prendre le temps de regarder, de parcourir et de comprendre. Et à la toute fin de reconnaître celui ou celle que nous appellerons frère ou sœur.
30€