Faire Face – Camille Gharbi

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©Camille Gharbi

En 2023, 103 femmes ont été tuées par leur mari ou compagnon. Ce chiffre, en très légère baisse (118 en 2022, 122 en 2021) reste malheureusement extrêmement élevé. C’est une femme qui décède tous les trois jours. Mais derrière la froideur statistique se cache une réalité : celle d’épouses, de mères, de sœurs, de compagnes qui un jour perdent la vie parce qu’un homme a considéré qu’il avait le droit de la lui ôter. Dans le même temps presque 50 000 condamnations pour violences conjugales ont été prononcées en 2023. Ce nombre, en hausse depuis 2017, reflète très vraisemblablement une meilleure prise en compte des plaintes des victimes mais reste, là aussi, extrêmement élevé et reflète un acte trop banalisé.

La photographe Camille Gharbi s’est intéressée à ces phénomènes et en a tiré un ouvrage conséquent et complexe paru aux éditions The Eyes (Véronique Prugnaud). Intitulé Faire Face, histoires de violences conjugales, il aborde la question du féminicide et des violences intraconjugales en France à travers trois prismes.

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Dans un premier temps, Camille Gharbi a photographié des objets pour la série Preuves d’amour. Un marteau, des balles, un fer à repasser… Chacune de ces natures mortes, d’une simplicité extrême, est accompagnée d’une liste comportant un prénom parfois ou simplement la mention « femme », un âge, une date et un lieu de décès. Un texte d’Ivan Jablonka accompagne ce travail.

Dans un second temps, elle est allée à la rencontre de meurtier.e.s incarcéré.e.s et en a tiré la série Les monstres n’existent pas. Bien que les meurtres au sein du couple ne soient pas exclusivement le fait des hommes (et c’est pourquoi une femme apparaît), il reste néanmoins que dans plus de 80% des cas ce sont eux les responsables et coupables. Des portraits, presque de dos, réalisés en détention, sont accompagnés à chaque fois d’un texte fruit d’entretiens avec le détenu. A la fin une discussion entre Ivan Jablonka et Camille Gharbi clôt la série.

Dans un troisième temps, pour la série Une chambre à soi, Camille Gharbi est partie à la rencontre de femmes hébergées par l’association FIT-Une femme un toit qui recueille des jeunes femmes de 18 à 25 ans victimes de violences familiales, conjugales, sexuelles. La photographe saisit le lieu qui leur sert de refuge pour un temps, et leur offre la parole. Camille Gharbi termine sa série par un entretien avec Carole Groulet, psychologue et psychothérapeute du SPIP de Charente-Maritime, et la journaliste du Monde, Lorraine de Foucher.

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©Camille Gharbi

Alors que les féminicides sont malheureusement toujours plus d’actualité, que leur nombre ne baisse que très peu, le livre que nous propose Camille Gharbi est une réflexion aussi vaste qu’intéressante sur ce drame sociétal. En effet, au-delà du fait qu’il a fallu des années et des luttes acharnées pour que le mot féminicide (avec tout ce qu’il implique) prenne sa place dans le vocabulaire de la justice, des politiques et des médias, l’ouvrage pointe en quoi celui-ci n’est pas qu’un simple meurtre alors que la société le banalise depuis des décennies. C’est la plupart du temps le meurtre d’une femme par un homme, chose qui pendant longtemps était avant tout perçue comme « naturelle ». Il ne faut pas oublier les vocables d’un passé pas si lointain où l’on parlait de « crime d’honneur » ou de « crime passionnel », et d’une justice masculine qui dédouanait ainsi le coupable, le condamnant à des peines légères.

Or, tout est bien moins « romantique ». Quand Camille Gharbi photographie un marteau, un robinet ou un briquet, quand elle construit ses natures mortes avec ces objets que nous avons tous, la réalité devient glaçante et le lecteur ne peut que s’imaginer avec effroi la somme de souffrances, de barbaries qui accompagnent le crime. Chaque objet étant suivi de la litanie funèbre des prénoms de celles qui trouvèrent la mort, nous sommes face à la réalité. Il n’y a ici aucun effet, aucune recherche d’une esthétique particulière. Uniquement les choses comme elles sont : banales et tragiques.

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©Camille Gharbi

Les photographies en détention sont elles aussi très simples. Des hommes, de trois-quarts, des vêtements comme nous en portons tous, des barbes ou pas, des lunettes ou pas. Ce sont nos semblables. Parce que les monstres n’existent pas, ou du moins ils sont peut-être plus rares qu’on ne l’imagine. Toutefois les témoignages de Pi, Gabriel, Toufik sont là pour nous rappeler qu’il y a eu un avant et un après, un moment charnière où la vie s’éteint. La plupart des interviewés ne se cherchent pas d’excuses, seulement des explications, et ils acceptent dans ces témoignages leurs pleines responsabilités. Ce sont des gens comme ceux que l’on connaît, ils pourraient être nos voisins, nos collègues, peut-être même nos copains, nos frères ou pères, les photographies sont là pour nous le rappeler. Mais celles à qui ils ont ôté la vie auraient pu être nos sœurs, mères, copines, collègues ou voisines.

C’est bien là toute la force de Faire Face : révéler par cette simplicité extrême des situations, par la neutralité des images toute l’ampleur de ce que ces féminicides impliquent. On tue non seulement des êtres vivants, humains, mais surtout des femmes que nous pourrions côtoyer tous les jours avec des objets de tous les jours et ça simplement parce que la culture de notre pays a été construite sur un modèle où un sexe se donne des prérogatives sur l’autre. Et surtout on tue tous les trois jours… banalement.

Quand, par chance et avec un immense courage, des femmes peuvent fuir ces violences et se réfugier dans les chambres d’une association, nous nous retrouvons propulsés dans un univers d’une banalité quotidienne. Des peluches, des photographies punaisées aux murs, un maquillage, bref une somme de petites choses qui sont autant de fragments d’une existence si ce n’est heureuse au moins banale et apaisée. Pourtant les témoignages de Martha, Rebecca, Aliya, Sarah, Emna, Léna, Mina, Sofia, Victoria, et Debora sont tous plus glaçants les uns que les autres. Elle est étrange cette société tout de même où un mari peut violer sa femme, où un père peut chasser sa fille la condamnant à la rue, où une fille est mariée de force. Parce que bien souvent la mort n’est qu’un point final dramatique à une succession de souffrances inhumaines.

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©Camille Gharbi

Ces trois volets d’un même fait se relient, se complètent et dessinent les contours d’un phénomène d’une complexité extrême. Parce que Camille Gharbi choisit de faire des images dépouillées, sans artifices, elle renforce le poids de celui-ci.
Faire Face est un ouvrage qui remue, un livre qui prend le lecteur aux tripes et qui le confronte à une réalité qu’il est plus que temps de connaître. En France dans les années 2020 il y a encore des femmes qui sont punies d’être des femmes. En France dans les années 2020 il y a des hommes qui considèrent que c’est tout à fait normal de punir une femme parce qu’elle est une femme.

Face à cette situation, face à ce drame, il y a bien évidemment le nécessaire recourt à la loi, le besoin que les politiques prennent enfin (et vraiment) le problème à bras le corps. Mais il y a aussi la nécessité d’éduquer, d’informer, d’expliquer et de confronter. Au détour d’un collage féministe, aperçu à Paris, la phrase « Protégez vos filles » avait été écrite, aussitôt barrée et accompagnée d’un « Éduquez vos fils ». Et c’est à ça qu’un livre comme Faire Face peut et doit servir. Il faut que les hommes comprennent que le féminicide n’est pas un crime comme les autres, que les violences conjugales n’ont rien de normal non plus, et qu’il n’y a de place ni pour l’un ni pour l’autre.

Camille Gharbi livre un ouvrage qui montre, qui dit, qui explique et surtout un ouvrage qui devrait être lu par les hommes. Ceux-ci ne manqueraient pas de comprendre qu’ils n’ont ni pouvoirs ni droits et que la centaine de victimes annuelle ne devrait plus être qu’un mauvais souvenir.

Pour découvrir les autres travaux de Camille Gharbi

Pour acheter le livre chez The Eyes

35€

21 x 27 cm

196 pages

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Frédéric MARTIN
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