De Lisbon à Dublin, de Rome à Paris, Arno Brignon est parti en Amérique. Prenant pour prétexte de visiter ces villes aux noms éponymes des capitales européennes, il a traversé l’Atlantique plusieurs fois entre 2018 et 2022. Mais, à la différence de ses habituels voyages, il était accompagné de sa famille cette fois-ci. Et cet US(A) devient us (nous), un livre publié conjointement par les éditions lamaindonne et la Galerie Le Château d’Eau.

L’Amérique… Le mot contient tant d’immensités, de paysages, de vertiges qu’il est un voyage à lui seul. Mais quelle réalité se cache derrière lui ? C’est quoi l’Amérique ? Celle que chantait Joe Dassin ? Celle de Trump, Biden ? Ou celle des rednecks ? Arno Brignon part donc vers ces mystères, vers ces lieux mais décide de ne pas le faire seul. Sa femme, sa fille l’accompagneront. Parce qu’il faut retisser des liens, parce qu’il devient difficile de conjuguer le couple, la cellule familiale à la première personne du singulier. Road-trip donc, mais road-trip à trois. Et déjà, dès le début, Arno note que : « Trop rapide pour vivre la rencontre, ce road-trip charrie son lot de frustration […] ». Mais la route est là, les villes aux noms si européens s’ouvrent devant des espaces infinis.

On croise quelques hommes, quelques femmes, des portraits d’inconnus, mais au demeurant assez peu. Moins qu’à l’accoutumée en tous cas. Puis, des paysages, des routes et des villes. Des espaces incertains, comme souvent dans les images d’Arno, des lieux entre-deux. On pressent une Amérique toute autre, une Amérique des bourgades, votant républicain, brandissant le second amendement (celui autorisant le port d’arme) comme le fanion de la liberté. Parfois, on croise un visage de femme, celle qu’aime le photographe, qu’il ne veut pas perdre même si leurs rythmes peinent à s’unir dans ces voyages qui sont comme des zigzags.

A un moment, une enfant drapée dans un foulard rouge, mur bleu vert en arrière-plan : sa fille ? On dirait du Steeve McCurry avec du talent, mais on devine là aussi une tension sourde, l’impression que le père hésite dans ce rôle avec celui de photographe.

Et puis, il y a les textes, de longs textes, notes de voyage, réflexions, retour sur soi qui dépeignent aussi bien des désarrois intérieurs, que des rencontres très différentes. Il n’y a pas une Amérique, pas plus qu’il n’y a un Arno, une Caroline et une Joséphine. Tout est multiple, les loisirs, les motivations, l’accueil fait à celui qui vient de l’extérieur. Et sans cesse, il faut tenter de (se) (les) comprendre.

Us, nous, quel titre idéal ! Parce que le livre d’Arno Brignon porte en lui cette multiplicité d’une part, mais aussi cette impression qu’au fond la cellule familiale devient une force après avoir été par moments une forme de poids.
On ne sait pas ce que sont les États-Unis quand on vit en France. Au mieux, nous avons quelques images d’Épinal en tête. Certaines sont certainement vraies, mais d’autres sont tout aussi fausses. Définir une identité globale à l‘échelle d’un continent serait une erreur tragique… Et ce que nous propose les images d’Arno c’est d’abord une part de cette identité, un fragment. Un tipi, un Diner, un drapeau étoilé accroché au perron d’une maison : voilà qui nous parle. Mais les mots orientent parfois le regard ailleurs : vers des lacs où les plages sont contingentées, vers des espaces intermédiaires où on ne laisse pas un homme seul à l’heure du repas.

Il y a une polysémie étasunienne dans ce récit de voyage, et ça ouvre des perspectives.

Mais les perspectives se sont aussi ouvertes au photographe lui-même. « Ma posture de photographe voyageur est la chrysalide que je laisserai en ces lieux ». Arno Brignon découvre ici la puissance du nous, ce collectif familial qu’on pourrait aussi rapprocher de la puissance du collectif américain. Je deviens trois personnes. On se retrouve pour une photo de couple face à un miroir, on réalise que la famille est un lieu béni où on peut se sentir bien. Il suffit de changer sa propre posture, de faire sa mue.

Us est un récit assez bouleversant. Parce qu’Arno Brignon s’y livre sans retenue, mais pourtant avec une pudeur sincère. Les images parlent, évoquent et les mots touchent. Peut-être que demain, il faudra repartir, ailleurs, vers une autre ville au nom de capitale. Peut-être qu’on croisera des choses douloureuses ou merveilleuses. Mais ce sera cette fois-là une route que l’on prendra ensemble.

Aller découvrir le travail d’Arno Brignon

S’offrir us chez lamaindonne

Voir l’exposition à La Galerie du Château d’Eau jusqu’au 21/04 

22€