Berlin, le mur, les années 60, un polaroïd, des mots à la bombe : « Es gibt nur ein Berlin ! » (il n’y a qu’un seul Berlin). Bien des années après, le même lieu, les mots ont disparu, et le mur n’est plus que le vestige d’une histoire achevée. Ces deux images prises par Michael S. Honegger et publiée par Blow Up Press dans l’ouvrage The need to know donnent la direction de l’ouvrage : il y a eu la guerre froide, cette période si particulière de l’histoire du XXème siècle où le monde marchait sur un fil en permanence, où le secret était le maître mot afin de tenter de préserver cet équilibre de la terreur qui habitait les relations internationales. Cette histoire Michael S. Honegger l’a vécu de la manière la plus forte qui soit puisque son père travaillait pour l’US Air Force (au contre-espionnage) et aidait à faire passer des espions de l’Ouest vers l’Est.

Quand au petit matin, le jeune Michael découvrait, allongé sur le canapé du salon de l’appartement familial, un homme au complet sombre, il ne pouvait s’empêcher de questionner son père. Celui-ci lui répondait invariablement « Do you have the need to know ? » (Est-il vraiment nécessaire que tu saches ?). C’est dans cet espace de culture du secret, de l’incertain et du non-dit qu’il a grandi. Plus tard, après sa retraite, son père lui dévoilera quelques éléments épars de sa véritable identité, ce qui poussera l’auteur à creuser plus avant ce passé, cette histoire trouble et protéiforme, empreinte de silences.

Des images d’archives, noir et blanc, quelques hommes en complet cravate. D’autres photographies, des hommes encore, avec de longs pardessus. Puis une famille sous la porte de Brandebourg : on sourit devant le symbole, mais le mur est là, omniprésent, le rideau de fer aussi, les missiles que pointent l’URSS vers l’Occident, la peur, des téléphones que l’on imagine rouge. Le Kremlin menace, c’est la Baie des Cochons, Kennedy tempête et dans cet immense laboratoire qu’est Berlin on espionne, on fait traverser des hommes à Checkpoint Charlie, on échange des renseignements, on enferme des documents hautement confidentiels dans des coffre-fort. On équilibre la peur, on surveille, on espionne.

Il faut d’abord, et encore une fois, saluer l’immense travail de maquettiste réalisé par Aneta Kowalczyk pour The need to know. En effet, celui-ci associé aux images proposées par Michael S. Honegger donne à l’ensemble l’impression d’avoir à faire à un livre puzzle où chaque élément non seulement compte mais est porteur de sens multiples. Qu’est-ce qui se cache derrière cette photographie de stylo ? La banalité de l’outil ou quelque code secret glissé savamment ? Qui sont ces hommes aux sourires figés ? De simple quidam ou des espions ?
Avec cette enfance si particulière qui fût la sienne, Michael a touché du doigt ce qui pour une majorité de gens n’est qu’une réalité de livres d’histoire. Bien sûr, nous connaissons tous le pont aérien, le mur construit en une nuit, les menaces proférées par les dirigeants, mais ce ne sont souvent que des mots, des lignes dans des ouvrages. Personne ne soupçonne vraiment les faux-semblants, la culture du silence, les mots cryptés et tant d’autres éléments qui font le concret d’une situation étrange elle aussi.

The need to know dévoile en partie cela. Mais sans pour autant donner les solutions, des clés, des vérités. Michael S. Honegger explore son passé, y cherche quelques réponses, mais finalement n’en trouve qu’assez peu. Certes, l’ouvrage est plein de fac-similé (notamment du passeport de son père), d’images d’archive, de coupures de journaux… mais existe-t-il ’il une vérité ? Il y a des souvenirs, une enfance dans des villes allemandes, grandir à l’ombre du mur et tant de questions qui restent et resteront probablement sans réponse.

Nous n’en saurons certainement pas plus de notre côté. La Guerre Froide a été la guerre du grand secret et ce qui ressort épisodiquement n’est qu’une étincelle. Plus largement, on peut que se questionner aussi sur l’actualité et sur la réalité de la fin de ce conflit. Certes, le monde a changé de polarité avec la chute de l’URSS, celle du mur, l’émergence de la puissance chinoise. Mais est-ce que cette dissension Est-Ouest est réellement terminée ? Est-ce que cet espionnage permanent, cette culture de la propagande sont achevées ?

Bien sûr que non… L’actuel conflit ukrainien n’est qu’un des avatars XXIème siècle de la fracture post deuxième guerre. La Russie de Poutine, mais aussi les USA de Trump, Biden et consorts jouent et rejouent cette querelle sur d’autres terrains. On se menace, on se soutient, on se déchire et il existe sans aucun doute d’autres formes d’espionnages qui sont virtuels ou cybernétiques. La mise en perspective de The need to know avec notre quotidien donne un peu le vertige et surtout la sensation que les choses ne sont, encore une fois, pas celles qu’elles prétendent être.

Prenons donc le temps de nous perdre dans ces pages, de tenter de résoudre des énigmes dont nous n’avons pas les codes. Un jour peut-être il y aura une suite à ce livre, mais les faux-semblants n’auront de toute façon pas disparus.

Pour espionner le site de Michael S. Honegger

Pour s’infiltrer chez Blow Up Press

65€

Cover: Hard (clothbound + embossing + photograph)

Inside: Munken Pure 120g and 150g, Munken Print Cream 80g, Arctic Volume White 170g

Format: 160×220 mm

Number of pages: 100 + inserts + 10-page-long leporello

Number of photographs: 54

Language version: English