Dravidian Catharsis – Yannick Cormier
Dravidian Catharsis, publié par les éditions Le Mulet, présente des photographies réalisées par Yannick Cormier au Tamil Nadu, région du sud de l’Inde, avec le peuple tamoul. Mais plus qu’une simple recension de leur culture, c’est une plongée au cœur de celle-ci, une immersion corps et âme. Les images de Yannick Cormier s’éloignent du reportage devenant une fusion avec les coutumes du peuple.
Il y a d’abord des regards, directs, frontaux, parfois presque sauvages. Des yeux blancs sur les peaux mates agrandis par le contraste du noir et blanc. Puis, les corps ; les corps qui dansent, qui bougent, les corps que l’on maltraite, que l’on mutile. Ensuite, des masques, des visages masqués de sourires grimaçants, de visages simiesques, de têtes pleines de crocs.
Et la lumière qui perce la pénombre, les forêts et un faune qui patiente.
Et la folie. Et la furie. Et les mouvements, encore des mouvements. On danse, on chante, on rit à gorge déployée, on souffre, on se révulse, on convulse, on attend patient que le photographe ait saisi ce qu’il y a à garder.
La joie est féroce, sauvage, païenne. La joie est douleur. La joie est immémoriale. La catharsis opère, encore et encore.
Dravidian Catharsis saisit le lecteur, le promène dans un univers qu’il peine à appréhender. En effet, loin des images d’Épinal véhiculée par l’Inde (vêtements chamarrés, hindouisme feutré, temples ornés de Ganesh et consorts) nous plongeons dans un espace-temps inconnu. Les Tamoul ont leurs festivals, leurs coutumes, leurs dévotions et Yannick Cormier nous livre ce qu’il en ressent. Ce n’est pas un travail ethnologique, il n’est pas question ici de faire une recension exacte, objective de ce qui se déroule là-bas. Le parti-pris frontal, immersif est, bien au contraire, des plus subjectifs. Mais il porte en lui quelque chose de nécessaire, de vital : un regard unique. La catharsis qu’exprime ici le photographe est complétement sensorielle. Elle est celle de la vue, de l’ouïe, de l’odorat. Chaque image est un ressenti. Peu à peu, les corps bougent exprimant la rage, la folie, la joie la plus hystérique, mais aussi une sincérité absolue sans fard et sans tricherie. Et nous entendons la musique qui accompagne, nous sentons les corps en sueur, nous pourrions même les toucher presque. Les Hommes sont des Dieux, s’approchant d’eux dans le tumulte.
Et, alors même que cette culture m’était complétement inconnue avant la lecture de Dravidian Catharsis, une fois celle-ci achevée, j’avais presque l’impression d’y avoir été, d’avoir participé à tout ça.
Mais, il serait dommage de ne limiter cet ouvrage qu’à cette dimension. En effet, les quinzaine années de photographies condensées ici, sont aussi un travail de mémoire, un travail d’archivage. Même si les traditions semblent ici vivaces, il y a fort à parier que dans les décennies à venir elles risquent de se perdre peu à peu. L’uniformisation culturelle qui frappe notre monde pourrait les mettre à mal au profit de coca-Cola et Burger King. Malheureusement.
Or, Yannick Cormier en saisissant ceci, en fixant les corps avec ces moments, donne aussi une part d’éternité. Il y aura pour toujours ces pieds dressés sur un crane trompe-la-mort où l’Homme frôle le divin. Il y a aura pour toujours ces corps grimés, ces portraits infinis. Et tant mieux, parce que peut-être ainsi on protégera tout ça.
Nos regards d’européens n’ont pas l’habitude de ce genre de « spectacles » mais devraient s’en inspirer pour sortir parfois de nos mondes trop plats, trop vides. On pourrait d’ailleurs se pencher sur l’autre ouvrage de Yannick Cormier, Tierra Magica, paru aux éditons LightMotiv où il prenait en photo les masques de Carnaval en Espagne ou au Portugal. Et en rejoignant les deux livres voir à quel point la rencontre avec le divin, la magie est aussi présente en Occident qu’en Orient et qu’elle prend des formes parfois assez semblables même si à des milliers de kilomètres.
Dravidian Catharsis se lit, se vit, se rencontre. Il faut faire honneur au travail de Yannick Cormier en laissant de côté nos appréhensions, toutes ces choses un peu préconçues qui nous habitent. Au contraire, suivons le dans ces fêtes où le grotesque s’harmonise sans cesse avec le sublime.
45€
220 pages
Offset print / 24 x 29 cm / Couverture cartonnée et toilée / Marquage argent
