Ce qui ne meurt jamais – Carline Bourdelas

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©Carline Bourdelas

Paru aux Éditions Process (maison d’édition de la revue éponyme – Benoit Pelletier), Ce qui ne meurt jamais est le fruit de la résidence de la photographe Carline Bourdelas durant le festival Planche Contact 2023, réalisée en partenariat avec l’association photo4food.
S’inspirant de l’œuvre de Marcel Proust et notamment du roman A l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919) dont l’action se déroule en partie dans la ville imaginaire de Balbec (inspiré par Cabourg où séjourna Proust et où Carline a produit sa série), elle a cherché à retrouver non pas des images du romans, mais plutôt cette ambiance très particulière propre à l’œuvre. Ambiance quiète et mélancolique, où la pensée donne au temps quelque chose « d’élastique » pour reprendre les propos de Proust.

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« Était-ce parce que je ne l’avais qu’entr’aperçue que je l’avais trouvée si belle ? Peut-être. » (1)

Un jeune homme entre pénombre et lumière, le regard lointain. Il attend on ne sait quoi. Un parfum ? Une fleur ? Une femme ? Qui sait…
Par la fenêtre entrebâillée, dans la nuit qui arrive, il contemple maintenant la mer. De dos on ne voit pas son visage, mais le temps semble suspendu, comme la possibilité d’un infini. C’est aussi un champ de fleurs bleues, blanches ou rouges, d’épis de blé dépassant. Le même jeune homme dormant dans la langueur de l’après-midi.

Ce sont surtout des heures silencieuses, à la lenteur fragile. Des heures de marche et d’attente, des heures de mémoire. Il y a un peu de vent, des soleils qui n’en sont pas, peut-être une jeune femme marchant sur la grève. Tout est délicat et précieux comme la qualité de la mémoire, sa fluidité.

« On désire une joie, et le moyen matériel de l’atteindre fait défaut. »

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©Carline Bourdelas

Tenter de traduire Marcel Proust en photographie pourrait sembler une gageure, tout comme tenter de retranscrire la plupart des classiques. En effet, il faut d’abord et avant tout s’éloigner du lieu commun rebattu de la madeleine, de l’anecdote, pour plonger dans ce que sont les écrits de l’écrivain. Sa prose, bien loin de se limiter à quelques moments d’enfance ou à ses années de jeune adulte compilés au gré des pages, est avant tout un acte de réflexion intime, une recherche d’un « je » sujet, pensant, réfléchissant, aux émotions complexes et parfois brouillonnes. Proust est mélancolique et désabusé, amusé et ironique. Il ressent, éprouve, recrée la mémoire de cela. Proust est dans son époque, tout en en étant terriblement éloigné ; il est hier et maintenant.

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©Carline Bourdelas

Or, Carline Bourdelas relève ce défi avec brio. En effet, laissant de côté les aspects communément admis de l’œuvre, elle s’attache à nous amener dans une photographie des sentiments, des émotions, du ressenti. Une photographie où l’ambiance prime bien plus que la retranscription exacte. Le lecteur passe d’image en image, de lieu en lieu, suivant ce jeune homme dont il ne sait rien mais dont pourtant il éprouve les désarrois, tourments, joies et vibrations. Le Cabourg photographié n’est pas Cabourg. Ce peut être Balbec ou même l’idée de Bablbec, sa fantasmagorie. Le temps passe, les heures sont lentes, il souffle un esprit délicat. On se surprend alors à marcher aux côtés du personnage principal suivant par ses yeux cette déambulation mémorielle, ce souvenir des lieux et de leurs mémoires.
On rêve. On rêve un rêve plein de mélancolie, de jeunes filles dont on tombe éperdument amoureux, de champs fleuris, de sous-bois et de nuits.

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©Carline Bourdelas

Carline Bourdelas se fait comme l’écrit en préambule Emmanuelle de l’Écotais et parlant de Proust, « ses yeux mêmes ». Malgré le temps passé, malgré le monde qui a été bouleversé, elle retrouve cette ambiance si particulière, cette conformation d’esprit qui était la sienne, tout en conservant sa place de photographe.

Ce qui ne meurt jamais est un ouvrage troublant. On se perd dans ce labyrinthe des images aux issues incertaines. On devient l’ombre de ce jeune homme et sa fragilité nous touche au plus profond.

 

C’est un livre qu’il faut posséder, qu’il faut relire sans chercher à le comprendre. Les choses sont ici au-delà de la simple pensée et de l’évidence des mots et c’est ce qui lui donne sa force.

(1) : citations extraites du roman A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel PROUST, 1919

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Les Éditions Process

28€

 

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Frédéric MARTIN
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