Quand même/ Anyway / Trotzdem – Dorothée Lebrun
Avec Quand même / Anyway / Trotzdem, paru aux éditions La 21ème saison, la photographe allemande Dorothée Lebrun documente ce moment particulier que fut le premier confinement. Mais, s’éloignant d’autres propositions plus conventionnelles, elle a fait le choix de portraiturer ses voisins du quartier Saint-Cyprien à Toulouse.
Quand même / Anyway / Trotzdem offre donc quarante-deux portraits, quarante-deux scènes souvenir de ces 55 jours hors du temps.
Ils sont deux posant devant un drap blanc : lui porte des vêtements couverts de peinture et tient un rouleau à peinture, elle chiffon et spray dans les mains semble prête à nettoyer les traces qu’il aura laissé.
Elle est seule devant le même support blanc tenant une radio, ou c’est une autre personne encore avec une guitare, un couple avec des enfants et chacun son occupation. Et ainsi de suite…
Quarante-deux fois le même dispositif et quand même quarante deux existences différentes.
Parce que c’est de ça dont il s’agit : alors que la France est couverte de cette sorte de chape étrange qu’est le confinement, que nos déplacements se limitent à un rayon de 1 km, qu’il faut s’autoriser à aller faire ses courses, nous avons dû tous et toutes continuer quand même à vivre. Et par la même réinventer un quotidien à notre manière. Bien sûr ce ne fût pas si facile, les repères manquent, le lien manque, le travail, la sociabilité manquent ; la télévision énonce sa litanie morbide, la peur pèse de ce virus invisible. Mais, peu à peu on s’organise, on désherbe une plate-bande qui en a bien besoin, on se remet à cuisiner, on redécouvre la lecture, la musique, la joie, nos proches.
Dorothée Lebrun s’empare de cela de ce foisonnement des existences pour le photographier, le poursuivre dans l’après confinement. Clin d’œil au photographe Stephan Moses cette série de portraits pourrait aussi faire penser au travail d’August Sanders. En effet, dans quelques dizaines, vingtaines, d’années nous aurons sûrement oublié une grande partie de ces jours confinés, de la façon dont nous les occupions. Les photographies, le livre lui-même serviront alors de mémoire de cette époque, de cette histoire, tout comme les photographies faîtes par Sanders témoignaient de la société allemande de son époque.
Nous avons vécu le confinement, mais il se peut, et c’est le mieux que nous puissions espérer, que cet aléa temporel ne revienne jamais. Or, quoi de plus important que d’en garder une trace ? Et surtout quoi de plus important que de garder le souvenir de ce que nous fîmes en ce temps là ?
Mais, Dorothée Lebrun nous offre aussi ici un ouvrage curieux, un travail où perce la tendresse, la fraternité qui font parfois défauts à nos sociétés humaines. Nous oublions trop souvent ceux qui nous entourent, les délaissant pour continuer à foncer dans nos existences chronophages. Pourtant, il y a une humanité que nous côtoyons, des amis, des proches, tant de vies qu’il ne faudrait pas oublier. Le confinement aurait peut-être pu servir si ce n’est de déclencheur (ce fameux monde d’après qu’on nous avait promis et qui jamais ne vint), au moins de prise de conscience. Malheureusement ce n’a pas été vraiment le cas.
Un ouvrage comme Quand même / Anyway / Trotzdem offre donc une seconde chance de se pencher sur ce qui nous entoure, de revenir à cette fraternité qui devrait être la base de nos existences.
Dorothée Lebrun fait œuvre de mémoire tout autant que d’humanité avec ce très beau livre, puissions nous nous en inspirer…
Pour suivre le travail de Dorothée Lebrun
Site des éditions la 21éme saison
40€
Pagination : 104 pages
Format : 21 x 27 cm
Parution : avril 2023
ISBN : 978-2-9581156-0-9