Et je laisserai mes yeux voler – Francine Cathelain
Le texte qui accompagne le livre de Francine Cathelain, Et je laisserai mes yeux voler, paru aux éditions Odyssée, commence par ces mots : « Je l’ai perdu. »
Qui est perdu ? Qui et non pas quoi, parce qu’on ressent ici qu’un être manque. Un père, un frère, un amant ? Peu importe. L’absence aussi se niche en chaque instant et chaque lieu. Commence alors une lente dérive, quelque chose de fragile, sinueux et impalpable. Le crépuscule, omniprésent dans les photographies de Francine, est immense et insoluble.
D’abord, un chat noir aux étranges yeux traverse, il n’augure rien, mais sa présence ouvre un voyage en des terres incertaines.
La nuit, l’ombre et sa densité bleutée sont partout : dans les rochers moussus, les routes sinueuses trempées de pluie, la voilette d’une religieuse. Pas un instant de jour, juste des ombres. Celles de personnes croisées, silhouettes indistinctes, celles des branches, des sous-bois, de l’eau des rivières. Bien sûr, l’aurore arrivera, un moment il fera jour et dans le ciel teinté de rose les heures nocturnes perdront un peu de leur substance.
Pourtant, il a fallu les traverser ces ombres, ces nuits impavides.
Et je laisserai mes yeux voler nous convie dans un voyage intérieur plein de trouble et de poésie. Les images de Francine Catelain ne disent pas, ne racontent pas, elles ont cette force d’évoquer. Par leur suggestion le lecteur se trouve happé dans cette dérive aussi bien physique que mentale en des lieux intimes où se noue le tragique. Comme dit en ouverture, on ne sait quelle tristesse s’est emparée de la photographe, on peut la supputer, mais finalement il importe peu d’en connaître l’origine. Elle lui appartient et nous ne pouvons que cheminer avec.
Parce que cet ouvrage devient une forme de parcourt du deuil, de l’acceptation de celui-ci. Tout ici respire la perte, l’abandon. Ou peut-être, simplement, la perte et l’abandon teintent les lieux d’une ombre noire ?
Il est toujours difficile de savoir si le monde et tel qu’il est ou tel que nous le percevons, or très probablement le regard porté ici donne cette coloration. Mais Et je laisserai mes yeux voler par le fil ténu sur lequel il avance devient autre chose, un dépassement. Les lieux, l’errance en ceux-ci, la récurrence de certains (la forêt, les rochers, l’eau) servent peut-être de dépositaires à la souffrance, la tristesse. On leur confie le désarroi, le vide et l’absence. Eux par nature resteront secret et tairont ce qu’on leur a dit. C’est ainsi que viendra la transfiguration, le passage. « Plus tard. Caresser l’histoire. » Il y aura un demain. Une lumière, la poésie (une autre poésie) du jour lumineux. Avec ces mots Francine Cathelain nous invite peut-être à comprendre, conscientiser nos douleurs, à les faire nôtres jusqu’à ce qu’elles soient si bien intégrées, ingérées presque, que nous pourrons nous en défaire…
Et je laisserai mes yeux voler sème la lumière dans les ténèbres parce que le images affrontent les ténèbres. C’est un ouvrage de beauté, de grâce et de force qu’il faut lire.
Ce livre a obtenu le prix Escourbiac-Fondation des Treilles, c’est on ne peut plus mérité tant la ce qui en émane touche au plus profond du cœur et de l’âme.
30€
Format 16×23,5 cm 96 pages sur papier Old Mill Stucco 120g
Reliure cartonnéeCouverture cartonnée en Wibalin Stria Old Gold
Gardes vierges rapportées en papier Sirio
ISBN – 978-2-909478-65-4