«  What a strange world we live in. » (Quel monde étrange dans lequel nous vivons). Ces mots prononcés par Alice, dans le roman de Lewis Caroll, auraient pu servir de titre au livre de Céline Alson. En effet, Alice prend pour cadre l’histoire de la jeune fille et de son étrange voyage au Pays des Merveilles. Toutefois, il ne s’agit pas ici de refaire le livre, mais plutôt de chercher dans un lieu symboliquement fort, le château de Versailles, des traces de ce conte.

Transparence.
Une théière troublée, tremblante dans la lumière du jour. Céline-Alice a suivi le lapin et le monde devient « curiouser and curiouser ».
Des escaliers, une fillette chaussures à la main les gravit, insouciante, puis elle s’efface. Une statue sans tête, où est le chat du Cheshire ? Certainement pas très loin, près d’une reine pleine d’acrimonie !
Le monde se dédouble à nouveau, les images se superposent, il y a une trappe minuscule dans un mur, mais une fillette hardie pourrait bien s’y glisser…

Avec Alice, Céline Alson nous embarque dans un conte visuel et délicat.
Peu à peu, une histoire semblable et différente à celle du récit originel se déploie au gré des images et le lecteur se prend à un double jeu : celui de suivre les pérégrinations de cette Alice du XXIème siècle pourtant très XIXème siècle, celui de construire sa propre histoire. Mais le miroir ne s’arrête pas là, parce que ce qui fait la force du travail photographique proposé c’est justement d’avoir inclus ce miroitement, ces pistes brouillées qui parsèment le texte de Lewis Caroll.
Aussi, le livre était accompagné de gravures de Jon Tenniel, Céline Alson a choisi, elle, la photogravure. Une femme ou une fillette, qui sait, puisqu’au Pays des Merveilles les changements de taille sont monnaie courante, tire un rideau. Une fillette semble gambader dans les couloirs d’un château infini…
Ici, les gravures sont autant support à l’histoire, que fragments de celle-ci.

Il paraît toujours difficile de s’inspirer de la littérature quand on pratique la photographie. En effet, le risque est grand de se contenter de raconter la même histoire, donc forcément moins bien. Or, le parti-pris de Céline Alson évite cet écueil. Le récit qui nous est donné s’il est celui d’Alice n’est pourtant pas une copie conforme. C’est plutôt le sentiment du récit, son essence qui prévaut ici. Il flotte dans les photographies qui composent Alice cette légèreté, ce côté tout à la fois stable et en déséquilibre du roman. Et c’est ce qui en fait un travail abouti et réussi. Page après page, le vertige et la surprise nous saisissent.

Il y a des animaux, du flou, des portes et des marches.

C’est Alice et ce n’est pas Alice.

C’est une histoire dans l’histoire, une histoire de l’histoire.

« Be what you would seem to be- or, if you’d like it put more simply – never imagine yourself not to be otherwise than what it might appear to others that what you were or might have been was not otherwise than what you had been would have appeared to them to be otherwise.” » (Soyez ce que vous semblez être- ou, si vous voulez le dire plus simplement – ne vous imaginez pas être différent de ce qu’il pourrait sembler aux autres que ce que vous étiez ou auriez pu être n’était pas différent de ce que vous aviez été.). Voilà qui pourrait résumer ces photographies. Elles sont ce qu’elles semblent être, ce que nous voudrions qu’elles soient, ce que la photographe veut qu’elles soient etc. Elles sont les illusions et la réalité, elles sont Versailles et elles sont dépeuplées, elles sont des moments pleins de magie et le pragmatisme le plus absolu.

Alice est un ouvrage plein de surprises, de sensibilité et de délicatesse qui invite à voyager dans ses images.

Céline Alson nous offre là un conte qui, s’il n’est pas de Noël, trouvera tout de même aisément sa place sous un sapin.

Pour suivre le travail de Céline Alson

20€