La marche de l’océan – Felipe Fittipaldi/Marie-Hélène Ruz
Après les deux dernières chroniques consacrées aux ouvrages de Manon Lanjouère et Joël Van Audenhaege, le livre du photographe Felipe Fittipaldi et de la géomorphologue Marie-Hélène Ruz, La marche de l’océan, paru aux éditions d’une rive à l’autre, vient clore une trilogie où la photographie et le texte questionnent l’impact de l’Homme sur le vivant, la nature.
Ici, il est question de l’élévation du niveau des mers, des océans. Comme à l’accoutumée dans les livres des éditions d’une rive à l’autre, un texte scientifique (au sens large du mot) fait écho aux photographies.
Atafona, ville brésilienne située dans le delta du fleuve Paraíba do Sul : un homme se tient devant les ruines d’une maison, quelques murs effondrés, toit éventré. L’océan lèche ses pieds. Un autre est juché sur un tas de gravats dans les vestiges de sa demeure. Un troisième est assis au milieu d’une pièce, peut-être une salle de bain, une cuisine ; il n’y a plus de toit, le sable a tout envahi. Partout des ruines, des habitations effondrées et l’océan inexorable, les vagues qui reviennent sans cesse, de plus en plus haut. C’est presque un décor de guerre, mais une guerre où l’Homme aurait perdu face à une Nature qu’il ne cesse de provoquer.
Et de fait, la montée des eaux n’est pas qu’un discours scientifique, pas qu’une imagerie télévisuelle. C’est la réalité que vivent des millions de gens sur la planète.
Marie-Hélène Ruz nous explique que la hauteur des eaux à la surface de la planète varie depuis toujours. Selon la froideur du climat, selon l’activité tectonique, les côtes, le cordon littoral s’agrandissent ou se réduisent. Mais ce qui est remarquable c’est que depuis quarante à cinquante ans la variation est très rapide et, en raison de la littoralisation des habitats humains, de plus en plus destructrice. Or, il est avéré maintenant que cette montée n’est pas liée à une variation traditionnelle des climats, mais bien au réchauffement climatique qui lui est imputable à l’Homme.
Ce qui nous intéresse ici c’est que les mots de la géographe, de la scientifique se traduisent par une réalité indubitable et terrifiante. Quand on entend parler de réchauffements, de bouleversements des climats, il manque souvent le concret des choses (même si les étés de plus en plus chauds sont quand même une forme de réalité inévitable). Mais les photographies de Felipe Fittipaldi sont là pour nous rappeler que derrière le discours il y a des femmes, des hommes, des lieux. La marche de l’océan n’est pas un catalogue des destructions opérées par l’océan. C’est un constat, terrible, où l’inexorable de la montée des eaux est montré.
Ces murs brésiliens, ces maisons affalées, détruites, mais aussi ces humains qui perdent tout, sont non seulement une réalité, une vérité, mais aussi un avertissement. Les catastrophes vont se multiplier, impacter toutes les zones du globe et quand on sait qu’une partie des grandes métropoles sont construites sur des zones littorales, l’humanité a beaucoup de souci à se faire. On nous le dit, on nous le répète, les scientifiques du GIEC sont unanimes, les données sont mesurées, quantifiées. Pourtant, les gouvernements agissent peu, et de façon assez peu coordonnée.
Il faut des photographes comme Felipe qui vont au contact du terrain, qui vont questionner le lieu, montrer ce qui s’y passe, montrer le désarroi, la violence, l’inéluctable. Peut-être que la prise de conscience passe par les photographies. Il suffit de se souvenir que c’est une image d’une fillette brûlée au napalm qui a fait prendre conscience de l’effroyable de l’action américaine au Vietnam.
La marche de l’océan n’apporte pas de solutions, parce que les solutions sont multiples, vastes, complexes. Toutefois, Marie-Hélène Ruz dans son texte attire notre attention sur le fait que la ville de New-York va investir plusieurs milliards de dollars pour se protéger, dans le même temps où des villages de pécheurs sont rayés de la carte. Il y a donc des choses à faire, mais ce sont des réponses globales, à l’échelle de l’humanité.
Demain une autre maison s’effondrera à Atafona, des gens perdront tout et devront fuir cette côte devenue inhospitalière. Demain, les vagues grignoteront centimètre par centimètre la côte. Felipe Fittiplaldi fera peut-être d’autres images, il nous montrera encore et encore ces lieux. Il se peut, toutefois, que la mesure du danger ait été prise et qu’enfin des mesures auront été pensées.
En attendant, diffuser largement La marche de l’océan semble une excellente solution pour alerter sur ce drame.
Les éditions d’une rive à l’autre
52€
- Format 29,5 × 24 cm
- 84 pages
- 37 photographies
- Mai 2023
- 9782956940968