Quelque chose de tragique se noue dans le livre de Monique Deregibus, Galisteo Équivalences, paru aux éditions Loco, quelque chose de tragique et de l’ordre de l’épouvantable, de l’indicible, de la violence sourde et constante.

Fruit de dix années de séjours (1989-199), puis d’un ultime voyage en 2017 dans le bassin du Galisteo, proche de la ville de Santa-Fé au Nouveau Mexique, ce travail propose des images frontales, directes, noir et blanc et couleur, du désert, des blocs monumentaux de rocs qui le composent, mais aussi des pétroglyphes tracés par les tribus indiennes qui vivaient là et qui ornent le rocher. Par ailleurs, des extraits de contes indiens (des tribus Navajos, Hopi, Pueblos, Zunis) issus de l’ouvrage de Jérôme Rothenberg Smashing The Pumpkins, accompagnent les images.

Il y a les rochers, blocs immenses qu’on imagine aussi bien éternels qu’indestructibles. Le même se répète, de page en page, il ressemble au couvercle d’un cercueil. Plus loin des dessins, des formes géométriques ornent la pierre. Que content-ils ? Les histoires des peuples ? Le vent dans le désert ? Convoque-t-on des esprits afin qu’ils soient cléments pour la prochaine chasse ? Seuls les chamans savent, savaient, puisque des chamans il n’y en a plus guère.

Eau de nuage

Brume

Mousse

Fumée

Nuage pluie

Acceptation

Inspirer

Le désert est immense sous un ciel bleu, quelques fleurs l’ornent.

La paix apparente cache le chaos.

En effet, le lieu que Monique Deregibus a choisi de photographier, où elle est revenue sans cesse pendant dix ans, guettant ces traces humaines si anciennes, traversant ces espaces de cailloux, ces lieux où souffle quelque chose de l’âme, fut d’abord le théâtre d’un génocide abominable puis ensuite de la première explosion « grandeur nature » d’une bombe atomique.

Les vainqueurs font l’histoire et on oublie trop souvent que derrière la « puissance » américaine, il y a le massacre systématique des populations autochtones Les colons sont arrivés, ont saisi des terres qui n’étaient pas à eux et dans le même temps ont massacré les populations indiennes. Alors que les photographies de Galisteo Équivalences nous invitent à traverser des décors aussi majestueux qu’immémoriaux, nous oublions (ou nous méconnaissons) ces pans de notre passé commun.

Et que dire de ces essais nucléaires ? Ils représentent peut-être l’aboutissement ultime de l’aveuglement meurtrier, d’une part de folie qui fait partie intégrante de l’humanité.

Il devient dès lors plus « difficile » de regarder les photographies de Monique Deregibus et surtout de n’y avoir que calme et beauté. Parce que derrière chaque roc, chaque herbe, chaque motif sur la pierre se cache la violence, la mort, la peur. Il y a quelque chose de l’ordre de la contradiction dans ce travail. Contradiction entre ces lieux, leur beauté, et la douleur qui les habite. Contradiction donc entre les possibles de l’être humain aussi bien capables du Beau que du Mal.

En élargissant le propos de Monique Deregibus, en transposant la beauté des photographies de Galisteo Équivalences à d’autres endroits du globe, nous comprenons très vite que chaque lieu peut porter en lui le drame.  On se rappellera que Babi Yar est un ravin bordé d’arbres, que les plaines de l’Est de la France produisaient beaucoup de blé avant 1914, et tant d’autres cas.

Monique Deregibus fait un travail de mémoire, de souvenir dans le plus pur sens du mot. Elle permet de redonner une voix à ceux qui n’en ont plus et de confronter l’Homme à sa destinée et sa soif immodérée de puissance. Gageons que cet ouvrage puisse éveiller quelques consciences.

A propos de Monique Deregibus

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45€

21,5 x 25 cm, 110 pages dont pages dépliantes, environ 100 reproductions en bichromie et en couleurs, relié plein papier
ISBN : 978-2-843140-80-8
Graphisme : L’atelier d’édition
Texte Français/Anglais