Spettri di famiglia – Ulrich Lebeuf

Ulrich Lebeuf, Italie, Naples, Spettri di famiglia, éditions de Juillet, mémoire, enquête, noir et blanc, charbonneux, mère, abandon, famille, fragments,
©Ulrich Lebeuf

Spettri di famiglia du photographe Ulrich Lebeuf, paru aux éditions de Juillet, pourrait être lu comme une quête, un récit de re-création. Fin des années quarante, Charlotte la mère du photographe est en vacances d’été à Naples, dans la famille. Son père lui dit au moment de repartir : « On ne peut pas te ramener avec nous, il va falloir que tu restes ici. » Confiée aux bons soins d’une tante aussi gentille que bienveillante, elle doit néanmoins subir la violence régulière de son oncle, « Torcile », un homme violent, brutal. A 16 ans, elle tombe amoureuse d’un italien, avec lequel elle fuit en France. Ils auront trois enfants. Las, le sort s’acharne, son mari décède dans un accident de voiture. Elle rencontre un français, ils ont un enfant… C’est Ulrich qui découvrira fortuitement le secret familial, la fuite, l’abandon, les morts qui jalonnent cette histoire. Et qui, à sa manière, avec ses moyens de photographe va chercher à redonner une histoire, un récit à se passé en déshérence. Il choisit de se rendre à Naples, de nombreuses fois, sur les traces de cette famille qui n’en est plus une.

Spettri di famiglia est peut-être, dès lors, une forme d’album de famille mental, une histoire de l’histoire.

Ulrich Lebeuf, Italie, Naples, Spettri di famiglia, éditions de Juillet, mémoire, enquête, noir et blanc, charbonneux, mère, abandon, famille, fragments,

Les images sont noires, charbonneuses et lourdes. Des corps, des visages, beaucoup, aux regards tristes, perdus, des usines aux fumées épaisses. Régulièrement, des photographies comme celles de famille, ces souvenirs que l’on se fabrique… mais aux têtes manquantes.

Effacées par le temps, effacées des mémoires, effacées par la douleur.

Des murs, des grilles, des visages, encore des visages, et des fenêtres vides. Puis, surgissant de nulle part, des images couleurs : quelques objets aussi dérisoires que familiers, des photos de famille, un dépliant touristique, Ulrich et sa mère lors d’un voyage napolitain fait en 2016. Il y a quelque chose de presque sacré dans ces menues choses, comme des ex-voto.

©Ulrich Lebeuf

Avec cet ouvrage, Ulrich Lebeuf amène le lecteur dans un territoire d’incertain et de douleur. Les fractures fondamentales du passé sont autant de jalons d’une histoire éparpillée, morcelée que le photographe tente, non pas de recoller, mais plutôt d’englober dans leur totalité. Il a dans les veines une part de sang napolitain, son récit personnel s’inscrit aussi dans cette ville. Pourtant, il n’y a initialement aucun lien, aucune attache. Son père est français et avant qu’il ne découvre l’inverse, il pense qu’il en est de même pour ses frères et sœurs. Par conséquent, Spettri di famiglia procède d’une forme de quête de Soi, d’enquête de son intime.

Il faut du courage, une volonté particulière pour partir là où il est presque certain de ne rien trouver. Parce que les liens ont été rompus et maintenus rompus même quand ils pouvaient se renouer, parce que les indices sont ténus et aux marges de l’image, dans des recoins sombres et tragiques.

©Ulrich Lebeuf

Pourtant, à la lecture de l’ouvrage et malgré leur dureté (peut-être aussi une forme de violence sourde, grondante, semblable à un chien prêt à mordre) les photographies d’Ulrich Lebeuf portent par moments une part d’apaisement. Ce parcours du passé, cette relecture des lieux, des liens, ce choix de reconstruire ce qui peut l’être, même de façon artificielle, invite tout à chacun à admettre que les choses, si elles gardent les cicatrices, les marques de la douleur, sont maintenant anciennes.

Il serait maladroit d’utiliser encore une fois le mot « cathartique » pour évoquer les photographies d’Ulrich Lebeuf, elles méritent mieux que ce lieu commun. Spettri di famiglia s’approche plus d’une forme de règlement de compte (Italie oblige…), d’un solde avec ce passé. Le photographe a exprimé ce qui devait l’être, a réparé ce pouvait l’être. Pas grand-chose n’est beau dans cette histoire, même franchement moche, mais voilà, il faut faire avec, s’occuper de ses démons et de ses monstres.

Comme l’écrit très justement Jean-Paul Dubois dans sa préface : «  […] un fils dit à sa mère : « Tu vois, tu peux rentrer, tu n’as plus rien à faire ici. ».

Et de fait, Spettri di famiglia clôt un chapitre, boucle une boucle et renvoi les fantômes à leurs solitudes. Mais le lecteur aura profité de sa lecture pour suivre ce chemin de souffrance et de joie ; il saura aussi que rien n’est figé.

Ulrich Lebeuf est membre de MYOP

Pour découvrir les éditions de Juillet

45€

128 pages
± 100 photographies
Couverture cartonnée et toilée
Format : 212 x 300 mm
ISBN : 978-2-36510-107-3
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Frédéric MARTIN
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