Marie Maurel De Maillé
Le nouveau livre proposé par les Éditions de l’épair (Sandy Berthomieu et Soraya Hocine) met en avant deux travaux de la photographe Marie Maurel De Maillé. Les séries proposées, Les Inconnues de la Scène et Holy Flesh, interrogent à la fois le temps qui passe, la disparition (dans le sens de l’effacement, l’invisibilisation), mais aussi la violence que subissent les femmes. La première série est accompagnée par un texte d’Éric Rondepierre intitulé Rappel, la seconde par un texte de Sandy Berthomieu, S’envisager.
L’ouvrage, de petit format, aux délicates photographies noir et blanc, séparées par des feuilles unies de couleurs vives, a quelque chose d’un carnet, d’un livret presque secret.
Une jeune femme, peut-être blonde et à l’allure d’héroïne hitchcockienne, les mains blotties sur la poitrine, le regard perdu et un peu triste, fixe une éternité qui oublia son nom. A l’arrière-plan, une étendue d’eau, des barrières… Bouillonnement d’une cascade, les flots se perdent dans la chevelure d’une autre femme, une autre actrice dont on ne se souvient pas. Elle a ce regard de Gorgone, une fragilité aussi… Les héroïnes anonymes de la série Les Inconnues de la Scène sont là devant nous, avec pour seule mémoire celle que leur redonne Marie Maurel De Maillé dans ses photomontages. Bien sûr, il y a aussi, sous-jacent, le souvenir de cette femme retrouvée noyée dans la Seine et dont le visage moulé dans le plâtre fit les beaux jours des artistes du début du XXème ou des chansons de Gainsbourg ou Yann Tiersen.
Mais finalement qui étaient-elles ? Quelles furent leurs vies, leurs espoirs, ou même leurs rôles au cinéma ? On ne se souvient pas, plus, d’elles et les traces restantes soulèvent aussi la fragilité de l’exister. On vit, on meurt, peut-être un instant une gloire éphémère nous a effleuré et puis plus rien. L’eau a tout emporté dans un mouvement infini. On se retrouve image sur papier glacé, vestige figé dans un demi-sourire éternel. Il faut donc toute la délicatesse du travail de la photographe pour un instant, le temps d’une re-création, nous inventer une seconde histoire.
Une poitrine cachée à peine par un tissu humide, puis une femme assise nue sur un lit, tête baissée. D’autres tissus, dentelles fluides et une femme encore tenant un couteau pointé vers sa gorge. Tout semble comme en suspens, comme retenu avant un drame terrible. Surtout jamais un visage ; là aussi il y a cet inconnu de l’être.
La série Holy Flesh prend naissance dans La légende dorée de Jacques de Voragine, ce récit du XIIIème siècle qui exaltait avec moult détails la vie et surtout le sacrifice de cent cinquante saint.e.s et martyrs. Et bien souvent, malheureusement, ces femmes subissaient des tortures multiples et innommables. Lesquelles étaient considérées comme une expression de leur très grande foi et piété. Étrange vision de l’amour divin qui passe par le principe de la souffrance comme preuve. Or, les photographies de Marie Maurel De Maillé interrogent cette iconographie, cette vision particulière de la grandeur de la foi. En choisissant de montrer des corps métaphoriquement martyrisés, elle relie à notre époque ces martyres. En effet, il y a un continuum historique, où le corps des femmes peut être le lieu de supplices, comme une évidence, un état de fait qui n’aurait aucune singularité, et ne serait presque pas critiquable. Le plus dramatique étant que la postérité ne retient le nom de ces saintes justement que parce qu’elles furent des martyres.
Il aurait pu être particulièrement périlleux de réunir en un unique ouvrages deux travaux qui paraissent à première vue dissemblables. Pourtant, il y a un fil qui les relie, quelque chose de l’ordre de la narration implicite. De quoi nous parle Marie Maurel De Maillé ? De perte peut-être, de disparition aussi. Mais surtout, finalement, d’oubli et de mémoire. Le passage par des photographies (dans les deux séries) d’une délicatesse remarquable, même si le propos de Holy Flesh est dur, même si certaines images sont empreintes de violence, même si Les Inconnues de la Scène le resteront maintenant pour toujours, apporte une forme spécifique de douceur, une mélancolie du non-oubli.
Le livre tire sa belle unité de ça.
Oui, il y a de l’amour dans le travail de Marie Maurel De Maillé, un amour que porte les fleuves, les rivières, un amour pour celles qu’on ne nomme plus ou qu’on maltraite et mutile. Il n’est pas besoin de le clamer, de l’étaler, simplement il suffit de le montrer par quelques photographies, de laisser au spectateur le temps de passer d’un univers à un autre, d’y faire des ponts, d’en chercher le fil d’Arianne. L’oubli dont furent victimes les actrices malheureuses de la première série est effacé un moment, la souffrance dont sont victimes les femmes pour qu’elles aient le droit d’exister un peu réparée, parce que la photographe a choisi de leur porter à sa façon de l’attention.
Il y a certainement matière et manière à trouver dans ce livre. Matière à chercher dans les œuvres photographiques un continuum, une relation. Manière à travailler justement sur celle-ci si l’on veut affiner son propre travail.
Marie Maurel De Maillé et les éditrices qui ont fait ce choix audacieux nous offrent un ouvrage rare, précieux et essentiel.
Il faudra prendre du temps pour l’appréhender, il faudra aussi saisir les opportunités offertes par les deux textes qui l’accompagnent, le plaisir de s’y plonger est à ce prix. Mais c’est peut-être ce qui fait les grandes œuvres, les ouvrages qui durent : ils ne se livrent pas avec facilité et permettent de creuser encore et encore le sillon de la compréhension.
Merci donc à Marie Maurel De Maillé de nous donner si belle manière à apprendre.
Pour retrouver le travail de Marie Maurel De Maillé
Le site des Éditions de l’épair
27€