The World Is Where You Stop – Tomasz Tomaszewski
On peut faire confiance à Aneta Kowalczyk de la maison d’édition polonaise Blow Up Press, pour imaginer à chaque nouvel ouvrage une maquette aussi originale que marquante. Avec The World Is Where You Stop qui retrace cinquante ans de travail du photographe polonais Tomasz Tomaszewski, elle a pensé un livre noir, imposant, massif, comme une bible de Gutenberg qui retracerait les affres de notre monde.
A l’intérieur le regard aussi curieux que critique de Tomasz Tomaszewski nous fait voyager dans ce qu’est l’humanité : un condensé d’êtres, de moments, de choses parfois absurdes, régulièrement violentes, quelque fois touchantes ou sublimes.
L’ouvrage s’accompagne d’un texte de Tadusz Gadacz relatif au Mal et aux possibilités de le circonvenir, et d’un autre de Kent Kobersteen évoquant le travail de Tomasz au sein du National Geographic.
« I hold the camera to my eye and select a fragment of the world. » Le visage est fixe, un œil, un seul, nous scrute alors qu’une cicatrice traverse du front à la bouche.
Des poupées façon Barbie sont pendues, crucifiées, et sur un torse velu s’étalent une dent de requin, un cœur tatoué.
Un homme voûté marche le long d’une maison à la façade lépreuse, un autre la bouche déformée tient une Bible. Il y a parfois des enfants, une main brandissant une faux, la Mort guette.
Pendant que des champs brûlent une cigogne attend, un bus passe, on crucifie un homme dans une fête en hommage à ce Christ rédempteur qui semble parfois avoir déserté la Terre. Puis celui-ci au regard dément, à l’intérieur de ses lèvres apparait le chiffre de la Bête : 666.
Le monde est là où on s’arrête, le monde est devant nous et ce n’est pas toujours beau à voir.
Dans l’œuvre noir et blanc de Tomasz Tomaszewski il n’y a pas de place pour la demie mesure, pour la tiédeur de l’expression. L’image dense, contrastée, nous happe directement. Le lecteur se retrouve plongé dans le monde, dans ce qu’il contient de brutal, frontal ; il ne s’agit donc pas de dire les choses en prenant des pincettes, en éludant. Au contraire, la radicalité du propos sert la photographie et vice-versa. Et le choix opéré par Aneta de ce livre grand format, lourd ne fait que renforcer tout cela. Le fond épouse la forme, la forme rejoint le fond et on se trouve en prise directe avec ce qui nous entoure, avec ce moment où le photographe s’arrête, porte le boitier à son œil et déclenche.
The World Is Where You Stop pourrait être, éventuellement, une sorte de chronique de notre planète. Mais une chronique à la réalité grinçante qui ne laisserait aucune place à d’éventuels détours doucereux. Pour Tomasz Tomaszewski ce qui nous entoure prend la forme d’une violence, d’une rudesse sans fards, sans échappatoires. Les sentiments, l’amour se retrouvent dans les cages d’une relation BDSm, on s’aime et on s’embrasse. On joue sur des cadavres, les mendiants rampent au sol. Pourtant, il y a des sourires, de la joie aussi. On s’étreint et on se caresse, les enfants sourient, et parfois on s’arrête face à l’océan, on attend immobile. Parce qu’il y a tout dans The World Is Where You Stop : la violence présente s’accompagne d’autres choses. Il serait trop simple, simpliste, de limiter ce livre à un condensé d’éléments brutaux. C’est ça l’humanité, c’est ce mélange hétéroclite de sublime, de moments presque parfaits proches du divin et dans le même temps de l’abject, du brutal, du mortifère.
Le photographe louvoie entre ceci, va de l’un à l’autre, ne s’y fixe pas mais les embrasse tous dans un travail sans limites, sans frontières.
La photographie de Tomasz Tomaszewski ne perd pas son temps. Elle relate une urgence tranquille à dire le monde. Il a fallu cinquante ans pour réunir dans cette somme cent cinquante photographies. Si d’aventure une vie extra-terrestre ou des historiens de l’an 3000 découvrent ce livre, ils auront un aperçu assez exact de ce que furent la période 1973-2023 : du sexe, de la violence, de la pauvreté… de l’amour aussi et des espoirs.
Tomasz Tomaszewski avec The World Is Where You Stop signe un livre aussi essentiel que puissant, charge aux lecteurs de s’en emparer.
Pour suivre le travail de Tomasz Tomaszewski
Site des éditions Blow Up Press
125€
Cover: Soft
Paper: Munken Print White 1.8 150g
Format: 280x370mm
Number of pages: 320
Number of photos: 150 (bw, quadtone)
Language version: English
Print run: 1500 copies
Printing and binding: Argraf (Warsaw, Poland)
Publication date: May 2023
Publisher: BLOW UP PRESS
ISBN: 978-83-965969-2-5