Ce qui doit disparaître – Félix Colardelle
Ce qui doit disparaître de Félix Colardelle, publié conjointement par les Ateliers du Palais et les Éditions Charbon, s’intéresse à la périphérie, ces espaces où nous repoussons loin des métropoles ce qui nous gêne fondamentalement. Ici, ce sont des déchets et des gitans de Roumanie qui coexistent sur le plateau de l’Arbois, situé entre Aix, Marseille et l’étang de Berre. L’ouvrage est une invitation à porter un regard si ce n’est critique, au moins interrogateur, sur ces lieux.
Un tas de gravats, immense, et peut-être plus loin une planche et deux pneus, rampe dérisoire pour sauter avec un vélo ou un skateboard…
Des gravats encore et encore, vestiges de maison, de murs autrefois habités, puis, incongru, un morceau de fourrure, comme perdu.
Un père et un enfant, il chevauche une moto de cross, regard noir et frontal. Un peu plus loin trois femmes, deux s’enlacent, une regarde l’objectif fière et souriante. Ils sont ici à côtoyer cette décharge sauvage, à vivre en parias là où nous n’avons pas à souffrir leur vue, là où sont abandonnés ces objets vestiges de nos vies.
Ce qui doit disparaître interroge non seulement ces espaces en déshérence, bordés d’autoroutes et de voies rapides, mais questionne aussi avec acuité ce que nous refusons peu à peu de garder dans notre champ de vision. Il est assez singulier de constater que ces lieux accueillent tout autant des déchets divers et variés que des humains, de façons formelles et informelles. Alors qu’une décharge sauvage côtoie un site d’enfouissement, pendant qu’une aire d’accueil de gens du voyage coexiste avec un camp « illégal » de gitans originaires de Roumanie, la périphérie de la métropole marseillaise devient un espace indéterminé où l’on repousse ce que nous ne voulons plus voir (et non pas -pas voir-).
Il y a en effet quelque chose de l’ordre du refus en ces lieux que documente Félix Colardelle. Refus d’abord de constater que nos sociétés produisent des déchets dans une quantité ahurissante et que l’écologie reste pour le moment un mot. Nous générons des tonnes et des tonnes de gravats, d’objets hétéroclites, et puisque les sites légaux et officiels ne suffisent pas à les absorber, nous les déversons ailleurs. On pourrait rétorquer que cela n’existe qu’en ce lieu, mais il est presque certain que non. Ce type de lieu existe partout, et Félix Colardelle, avec sa photographie frontale, directe, renforcée par l’impression en risographie, nous confronte à cette réalité.
Mais le refus de voir ne s’arrête pas là. Ces populations gitanes, reportées à la périphérie des périphéries, qui se soucie d’elles ? Pas grand monde très vraisemblablement, puisqu’il semble admis qu’elles peuvent vivre en dehors des structures d’accueil (de toutes façons trop petites pour elles) et dans un environnement si ce n’est délétère, au moins peu accueillant. Il y a quelque chose de fragile dans les images qui les documentent : un sac de frappe pendu à un arbre, une fillette sur un scooter, des mains pleines de déchets… Et cette fragilité est renforcée par des images sans fioritures, sans recherche d’effets.
Ce qui doit disparaître est un ouvrage à la sensibilité remarquable. Au gré des pages, le lecteur ne peut que prendre conscience de ce qu’il ne voit (ne veut pas voir) pas. À une époque où les crises sont multiples, tant sur un plan migratoire qu’écologique, cet ouvrage sonne comme un état des lieux, un constat légèrement amer, critique sur ce qui fonde nos sociétés. Toutefois, Félix Colardelle ne donne jamais de leçon, ne moralise pas. À nous de saisir son propos, de parcourir son travail, les espaces du plateau de l’Arbois.
À nous de comprendre que Ce qui doit disparaître ne le doit peut-être que pour notre confort oculaire…