Devour – Véronique L’Hoste

Véronique L'Hoste Devour Claire Jolin Les éditions Orange Claire
©Véronique L’Hoste
Publié chez Les Éditions Orange Claire (Claire Jolin), Devour, ouvrage de la photographe plasticienne Véronique L’Hoste, traite de la maternité.

Toutefois, le biais choisi n’est pas le catalogue habituel des photos relatives à la grossesse et à l’enfantement. Pas question ici de montrer un bonheur aussi extatique que sirupeux. Non. Il s’agit plutôt d’évoquer cette difficulté à être mère que certaines femmes éprouvent. Difficulté bien plus fréquente qu’on ne le croit et que les injonctions sociales masquent tant il est convenu que chaque femme est une maman en puissance.

Devour est un livre-objet, conçu à partir de feuilles maintenues par un simple élastique (presque comme ces élastiques à cheveux qui métamorphosent une coiffure en une seconde), enveloppées dans une pochette plastique fermée par un scratch. Cette forme originale permet une myriade de lectures, semblables à des puzzles.

Par ailleurs le livre est accompagné de deux textes originaux : l’un de la productrice et réalisatrice radio Stéphanie Thomas, auteure de l’ouvrage Mal de mères et l’autre de l’écrivaine Anne de Rancourt.

Véronique L'Hoste Devour Claire Jolin Les éditions Orange Claire

L’enfant est là, le petit, les cheveux barbouillés de yaourt. Cachée derrière ses cheveux, la mère contemple les dégâts. C’est comme toujours drôle et exaspérant, fragile et angoissant.

Puis, il y a ces légumes prisonniers de la glace : brocolis, carottes, chou-fleur… Il faut une alimentation saine au petit, à la mère aussi.

Encore plus loin, des dessins inquiets, des corps morcelés que la mise en page assemble et des images extraites du film Sunshine de Danny Boyle : étoiles lointaines, soleil à sauver.

Focus : nature morte aux médicaments, maman tient bébé dans ses bras ; des dessins encore, l’enfant pose et s’amuse dans le cadre.

Il est là, partout, tout le temps…

 

maternité question difficulté
©Véronique L’Hoste

 

Il est convenu dans nos sociétés post-industrielles de dire qu’être mère est la plus belle chose qui soit. Cette construction très récente ne naît qu’à la fin du XIXème siècle quand l’industrialisation de la France, de l’Europe et des USA a poussé les hommes vers les usines. Il fallait quelqu’un pour garder les nouveaux nés, ce rôle est devenu celui des femmes. (Alors qu’au début du XIXème 80 à 90% des nouveau-nés sont placés en nourrice).

C’est la naissance donc de ce mythe de la mère heureuse, béate dès les premiers signes de grossesse, et qui le restera une vie entière devant sa progéniture.

Or, il s’avère que comme toutes les belles histoires celle-ci à ses failles, ses non-dits, ses échecs. Sans aller jusqu’au post-partum, ce baby-blues destructeur, nombre de mères ne se sentent pas immédiatement dans ce rôle. Il leur faut du temps, de la patience, un déclic (celui évoqué dans le texte d’Anne de Rancourt est aussi savoureux que révélateur) pour accepter l’enfant.

Les photographies de Véronique L’Hoste plongent au cœur de cet univers de doutes, cet apprentissage quotidien et sensible de la maternité.

Véronique L'Hoste Devour Claire Jolin Les éditions Orange Claire
©Véronique L’Hoste

 

Devour en anglais signifie dévorer. Ce n’est peut-être pas l’intention de la photographe en choisissant ce mot, elle y inclut peut-être tout à fait autre chose qui sait, toutefois il convient bien à la situation.

L’enfant « dévore » la vie du parent (des parents). Parce qu’il est d’une fragilité inouïe, parce qu’il ne peut se satisfaire à lui-même, parce qu’il est terriblement imparfait, in-fini et qu’il a besoin de sa mère pour survivre. Les images de Véronique L’Hoste montrent cette omniprésence, cette nécessité de penser à lui et pour lui sans cesse.

Il est là partout. Dans les repas, les jeux, les moments de fatigue, de joie, de peine. Il prend sa place, il prend la place. Et la nécessité majeure de cette maternité est avant tout de comprendre, puis d’accepter cette présence pourtant désirée initialement.

« Qu’est-ce que fait ce bébé chez moi ? » écrit Véronique dans un très beau texte de présentation. Oui que fait-il là ? Qui plus est en plein confinement… C’est tout aussi incongru que de s’autoriser à aller se promener pendant une heure.

Oui mais voilà, il est là.

Alors, commence l’apprentissage d’être mère.

Commence l’apprentissage de la dualité, cette nécessité afin que l’humanité se perpétue (et la référence au film de Danny Boyle prend immédiatement tout son sens). L’enfant est un soleil, c’est entendu, mais il faut aller le chercher ce soleil, se l’approprier. Être seule, mais à deux maintenant.

Véronique L'Hoste Devour Claire Jolin Les éditions Orange Claire
©Véronique L’Hoste

 

Il émane des photographies de Devour un sentiment permanent de solitude, comme une forme de désarroi face à quelque chose qui dépasse l’auteure. Mais une solitude que l’on apprivoise, que l’on combat par les jeux, que l’on cherche face au poids écrasant de devoir s’occuper d’un bébé.

Véronique L’Hoste nous offre un travail d’une complexité et d’une sincérité remarquables. Comme dit auparavant il est de bon ton de prétendre que « ça a été le plus jour de ma vie. »… Bien entendu. Sauf qu’il s’avère que non. Ce n’était pas aussi idéal. Ici le voile est levé : non ce n’est pas toujours facile, non on ne sait pas instinctivement ce qu’est être mère. C’est un apprentissage, un travail de tous les instants, une difficulté.

C’est angoissant souvent, incongru aussi.

Cet ouvrage remet un peu les pendules à l’heure et c’est très bien ainsi. Démasquer les mensonges ne peut, en général, qu’être une bonne chose. Merci donc à Véronique de nous aider à comprendre ce qui se trame parfois dans les têtes des mamans.

Devour est aussi un film photo

Site de Véronique L’Hoste

Site de Les Éditions Orange Claire

35€

 

Descriptif technique

Impression offset quadrichromie

88 pages (format photo 11×30 cm)

Reliure élastique rond noir, assemblage à la main

4 jaquettes différentes

400 exemplaires

Imprimé en France, dans le Grand-Est

ISBN 978-2-9560038-4-7

 

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Frédéric MARTIN
Frédéric MARTIN

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