Judée – Didier Ben Loulou
©Didier Ben Loulou |
En inlassable arpenteur du bassin méditerranéen, ses pérégrinations l’ont mené, cette fois-ci, en Judée, ce territoire montagneux qui s’étend du sud d’Israël à une partie de l’actuelle Cisjordanie et bordé à l’est par la Mer Morte. On y trouve les villes de Jérusalem, Bethléem, Hébron ou Jéricho, c’est dire la charge symbolique que cet espace porte depuis plus de deux milles ans.
Le chardon et le coquelicot poussent au milieu des herbes jaunies. Un berger contemple des étendues désertiques, rocailleuses en suivant le pas lent de ses moutons.
Il reste quelques plaques de neige avant la chaleur brûlante des étés.
Une main et une colombe, des stèles funéraires, d’autres mains aux ongles noircis ; plus tard des pieds, des visages et quelques lieux de pèlerinage : mosquée, église ou cimetière juif.
Partout des rocs, des nuages et les pins courbés par le vent.
C’est un désert aride plein de vie, des fleurs éclatantes de lumière, des femmes et des hommes qui habitent ici en ces lieux infiniment et triplement saints.
Le temps semble n’avoir pas de prise, le silence parcourt l’azur.
Le Monde vient de naître.
©Didier ben Loulou |
Judée nous amène là où l’actualité bégaye régulièrement ses mauvaises nouvelles. Conflits, occupations, violences…
Pourtant, le propos de Didier Ben Loulou s’éloigne volontairement de ces soubresauts. La Judée que parcourt le photographe est celle de l’humain, celle comme il écrit « des premiers matins du monde ».
Et en effet ses images sont avant tout une invitation à contempler, à parcourir ces lieux où les hommes vivent avant toutes choses.
Il n’y a ici que la lenteur métaphysique du Temps, des moments qui naissent les uns après les autres dans l’aridité des pierres, dans l’explosion d’un arbre en fleur.
Il n’y a ici que des choses qui apparaissent dans l’illusion du grand vide.
©Didier Ben Loulou |
Les photographies de Didier Ben Loulou sont pleines d’un silence infini et respectueux. Page après page, et c’est ce qui donne une force bien particulière à cet ouvrage, on arpente avec sous nos pas le bruit ténu de la marche, le souffle du vent, peut-être de loin en loin l’appel d’un berger ou le sifflement d’un rapace.
Rien d’autre.
Or, ce silence, la force de celui-ci, impose au lecteur aussi bien qu’au photographe le respect. L’histoire du Proche-Orient, mais aussi celle de l’Occident au sens très large du terme, s’écrit ici depuis des millénaires. Elle est présente dans chaque pierre, dans les coupoles dorées d’un lieu de culte, sur les murs de pierre sèche datant dont ne sait quand, dans les sentes foulées depuis des siècles. Il est donc nécessaire de prendre tout le recul dont nous disposons pour être avec ces endroits plutôt qu’essayer de les traverser.
Le Temps passe et l’Homme n’a aucune prise sur lui-même s’il l’oublie trop souvent. Alors autant s’arrêter…
©Didier Ben Loulou |
Retourner au silence…
Ne serait-ce pas ce que nous devrions tous faire ? Prendre le temps de la contemplation plutôt que celui de la course effrénée ? Prendre aussi celui du recul face à l’écrasante puissance de cette Histoire qui nous contemple ?
Judée sonne comme un éloge à la lenteur et à l’humilité. Les deux sont là à chaque instant. Dans les stèles d’un cimetière juif ; dans les gestes immémoriaux des bergers ou des femmes, dans l’infini des routes grimpant à flanc de colline.
Laissons à ceux qui le veulent les agitations guerrières et politiques, mais oublions-les. Retirons-nous à l’intérieur de ces montagne désertiques, contemplons ce rien qui contient tout.
©Didier Ben Loulou |
Didier Ben Loulou signe avec Judée un ouvrage d’une portée remarquable. La photographie permet beaucoup de choses et notamment, ici, de prendre un recul salvateur.
Chacun ou chacune doit prendre le temps de regarder, de plonger au cœur des images et d’en comprendre si ce n’est le sens au moins la portée. Il n’est dans ce livre d’image anodine. Bien au contraire la délicatesse du regard du photographe le lie au paysage et à ceux qui l’habitent, et de fait nous lie aussi.
Peut-être est-ce cela photographier ? Prendre le temps du silence et du désert, prendre le temps de comprendre, d’accepter l’infini, la petitesse de nos vies.
Didier Ben Loulou nous offre, en tous cas, des clefs et des pistes. Il ne tient qu’à nous de les saisir…
Site des éditions La Table Ronde
26€