À L’Ombre des Vivants – David Siodos
©David Siodos |
À L’Ombre des Vivants, le nouvel opus de David Siodos paru aux Éditions le Mulet (Simon Vansteenwinckel/Mat Van Assche, revient encore une fois sur la ville, ses habitants, ses zones d’ombres et de lumières.
David arpente, traverse les rues appareil en main, questionne, discute, crée des liens aussi forts que fragiles avec des hommes et des femmes, amitiés d’un instant, camaraderie d’aujourd’hui et peut-être de demain. Puis, il repart ombre parmi les ombres.
Est-ce une recherche ? Une quête ? Ou bien simplement la nécessité de se confronter à ce théâtre un peu étrange, un peu absurde que nous nommons vivre ?
Une rue enneigée, un homme se hâte.
Page blanche.
Un vieillard le long d’un mur, sur son visage un masque. Page blanche.
Puis la noirceur.
Un homme brandit une canne, habité d’une colère dont on ne sait rien. Un chien puis un autre tous crocs dehors, la foule anonyme dans la lumière du matin.
Des ombres. Un homme allongé par terre, l’alcool, la misère, la déchéance.
Des oiseaux.
Puis, une femme, des anonymes, des pages noires, le silence qui étouffe tout.
Un visage grimaçant de rire, un tunnel, des lumières.
Tout est flou. Mouvant et insaisissable.
Tout est figé et mobile.
Ombre parmi les ombres, le photographe se glisse dans les espaces, les interstices. Spectateur des soubresauts de la ville, il erre en quête des autres, de lui.
©David Siodos |
Ce qui saisit dans le travail de David Siodos c’est l’immédiateté de ses photographies, la proximité, pour ne pas dire la symbiose, qu’il y a entre lui et l’espace qu’il parcourt.
David est la ville, la ville est le photographe.
À L’Ombre des Vivants est donc bien plus une chronique, la narration intra diégétique d’une histoire éternelle, qu’un simple livre de photographies de rues. Bien sûr, il y a ici des images, capturées à tous moments, en tous lieux. La ville devient un immense terrain d’expression, un formidable espace de rencontres. Mais l’auteur s’immerge de telle façon qu’il devient le lieu, qu’il est une partie d’un tout plus vaste qui le dépasse et nous dépasse complétement.
Il n’est pas question, ici, d’un travail un peu voyeuriste qui se contenterait de collecter les expressions de la misère, de la solitude. (Ce qu’est malheureusement un peu trop souvent la photographie de rue). Ce n’est pas non plus, une œuvre compilant les multiples formes de vie qui habitent l’espace urbain. C’est au-delà, c’est l’Histoire humaine, sa comédie, que nous raconte David Siodos. Mais parce qu’il apporte avec son travail une part d’humanité considérable, cette histoire devient aussi la nôtre.
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Les humains ici ne sont pas de simples proies à destination d’un photographe en mal de sensations. Au contraire, ceux que nous croisons au fil des pages sont nos semblables, sont nous.
Il y a d’abord ces foules un peu pressées, se hâtant vers on ne sait trop quoi. N’oublions pas ces matins où absorbés par nos téléphones, nos rendez-vous, nos « soucis » nous oublions complétement l’existence du décor qui nous entoure et de ses personnages.
Qui sont-ils ceux que nous ne voyons plus ?
Ce sont des déclassés souvent, des marginaux, mais aussi des hommes et des femmes auxquels nous ne prêtons guère attention, tout comme nous ne contemplons plus les murs gris de la ville, le vol des oiseaux, les lumières.
Des ombres qui se meuvent, des silhouettes indistinctes, ce sont pourtant nos frères et sœurs.
©David Siodos |
A bien y regarder, À L’Ombre des Vivants pose cette question fondamentale : sommes-nous toujours vivants ? Sommes-nous réels ?
Bien sûr ! Nous travaillons, nous respirons, nous allons et venons… Et pourtant, qui se soucie de nous quand nous sommes par les rues, les transports en commun ? Personne. Tout comme, il semble, nous ne préoccupons pas vraiment des autres. Nous notons leur présence, mais c’est trop souvent à peu près tout.
Il ne s’agit pas ici de se culpabiliser ou de critiquer qui que ce soit. Nos modes de vie nous ont rendu un peu invisibles, ombreux, solitaires et égoïstes.
Alors, quand David Siodos part à la rencontre de ce peuple des villes, il prend sa part des existences. Il discute avec André, Paulo, Daniel, Patrick, Pierre, David, Paul, Daniel. De la misère, de la vie, de la mort, de la violence qui habite le monde ou les familles, du froid, de la foudre et de tant d’autres choses.
Par son travail photographique, il redonne une matérialité à l’Homme.
©David Siodos |
À L’Ombre des Vivants est un livre d’humanité. Un ouvrage qui pose aussi cette question primordiale : quel est mon rapport aux autres ? Ma vision de l’altérité ? Il n’y a rien ici de la leçon donnée, de la culpabilisation.
Au contraire, les images invitent à se décaler un peu, à se décentrer pour regarder comment nous fonctionnons dans nos relations à celui n’est pas nous.
Nous pouvons en tirer quelques conclusions, peut-être choisir de modifier nos comportements. Ou pas.
Chacun fera comme il pourra dans cet immense spectacle qu’est Vivre.
Il n’y aura ni Bien, ni Mal, juste des vivants, des morts, des nuits, des jours et des ombres.
Et le regard de David Siodos pour nous donner envie de nous arrêter un instant à ce qui est.
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