To Bedlam and Part Way Back – Léa Thirion
©Léa Thirion |
Découvert à l’inestimable librairie lyonnaise Le Bal des Ardents, To Bedlam and Part Way Back par Léa Thirion est un magnifique petit ouvrage à la croisée du livre court et du fanzine.
Son titre, inspiré par un recueil de la poétesse américaine Anne Sexton, pourrait se traduire par Retour partiel de l’asile.
Le livre de Léa à la couverture bleue cyanotype ou violette (au choix), aux images imprimées en rhizographie, se construit comme une progression intime et morcelée au bord de la vie, de la déraison.
©Léa Thirion |
Une femme tient un morceau de verre, ou de glace, on ne sait pas. Elle paraît se mirer dedans mais pourtant il n’y a pas de reflet.
Plus loin une autre femme, cheveux courts, un portrait tremblant comme si quelque chose allait se briser.
Et puis, une grande roue, deux enfants, une minuscule cascade, des fleurs aussi et des hirondelles sur un papier peint figées dans un vol éternel.
Une somme d’instants aussi minuscules qu’immenses, de lieux qu’on ne peut localiser…
Mais la sensation d’un vertige gagne peu à peu, quelque chose est là, tapis entre les images, dans les pages noires et ces mots d’Anne Sexton résonnent :
» Et je te jure solennellement
sur le froid du secret
que je ne vous connais point, ni toi ni cette chambre,
ni la robe gonflée que je porte,
ni les cuillères anonymes qui me libèrent,
ni ce calendrier, ni le pouls que nous freinons et masquons. »
©Léa Thirion |
Alors quelle voie suivre quand on parcourt To Bedlam and a Part Way Back ? Est-ce même nécessaire d’en suivre une si ce que nous voyons est sans être, existe sans réalité ?
Léa Thirion nous invite dans un espace incertain où les repères se perdent peu à peu. Est-il question de folie puisqu’il est question d’asile ? Ou bien peut-on imaginer cet asile comme les refuges physiques et mentaux qui nous protègent parfois ?
Il est bien difficile de donner une réponse absolue et certaine, et la vérité, s’il y a vérité, se tient peut-être quelque part à mi-chemin entre les deux propositions.
Dans le travail poétique d’Anne Sexton la matière est extraite du quotidien, et tend à se muer peu à peu en une forme d’élévation à laquelle se mêle le thème sous-jacent de la folie. Or, les images de Léa Thirion sont en permanence sur le fil. On croise page après page ces instants banals qui forment nos existences, des lieux communs, anonymes, vides. On rencontre des personnages qui sont peut-être des proches, des amis à qui nous nous accrochons, de qui nous nous rapprochons.
Mais souterraine, affleurant, il y a la déraison, quelque chose de l’ordre du déséquilibre inquiet qui hante les images, comme si subitement tout allait vaciller et chuter. On ne sait où chercher, où regarder.
« Le printemps rouille sur sa branche maigre
et la pelouse de l’été dernier
est marron et détrempée.
Hier n’est qu’un chiffre. »
©Léa Thirion |
L’arrivée de pages entièrement noires finit de troubler le lecteur. To Bedlam and Part Way Back ne se laisse finalement pas facilement approcher. Il faut prendre son temps, laisser les photographies imprégner le regard puis l’âme pour peu à peu se laisser porter par le rythme. On s’ouvre alors à une vulnérabilité qu’il faut accepter. L’asile, ce refuge ou cet enfermement, guette entre les lumières, les ombres. Ici ou là, protégé ou enfermé, on agrippe des bribes de monde, une chevelure, un chat, des fleurs pour ne pas se laisser noyer, pour ne pas disparaître, pour se souvenir de la vie avant.
Léa Thirion ne nous donne pas de clefs, nous laisse à nos propres fissures. C’est peut-être ce qui fait de cet ouvrage un récit remarquable. Le lecteur doit faire un choix et pour cela il est seul, livré à lui-même comme la photographe l’est quand elle prend ses images.
To Bedlam ans Part Way Back n’est tiré qu’à 35 exemplaires, si la beauté manifeste, la puissance intrinsèque de l’ouvrage ne suffisaient pas à convaincre les lecteurs réticents, ce dernier argument devrait les inciter à se précipiter pour commander le leur…