Assyrians – Romane Iskaria
©Romane Iskaria |
L’histoire de ce travail photographique naît quand Romane Iskaria s’est plongée dans les racines familiales du côté paternel où elle découvre un peuple, son histoire et sa culture. Les Assyriens forment une vaste communauté, apatride, dont les racines naissent dans l’ancienne Mésopotamie (un espace à cheval entre la Syrie, la Turquie, l’Irak et l’Iran) ; peuple chrétien d’Orient ils ont été et sont encore régulièrement persécutés, ce qui les amène à fuir en Europe ou aux Etats-Unis.
Romane est allée à la rencontre d’exilés vivant en Belgique ou en France à Marseille.
Des vues aériennes de territoires inconnus. De l’eau, des montagnes, un ailleurs. Puis, comme des jalons, des reproductions agrandies, morcelées, de vieilles images en noir et blanc : scènes de rue, bords de fleuve, famille aux multiples membres.
Mémoires.
Puis, encore, des objets, des bijoux, un médaillon représentant Ishtar ; un homme qui tient une branche, des tissus, des plans de maison griffonnés, deux femmes, des sœurs peut-être, qui posent.
Mémoires.
Des témoignages, ceux de Ghazel, Joseph, Narho, Ninmar, Tibelyas, Yucuf, Natali, Gabriel. On y parle de fuite face à la guerre, on y parle de vies à reconstruire. On y parle de langues qu’on apprend, de langues qu’on parle, d’une langue qui disparaît peu à peu : le soureth.
Mémoires.
Et enfin, tout le reste, tout ce qui forge une culture, tout ce qui construit une histoire millénaire, tout ce qui hante un passé.
Mémoires.
©Romane Iskaria |
La grande question qui porte Assyrians, qui sous-tend le travail de Romane Iskaria est la suivante : par-delà mon passé, mon nom, quelle est l’Histoire de ce peuple dont je suis une partie ? Qui sont-ils ces hommes et ces femmes dont au fond personne ne parle vraiment au-delà de la communauté ? Qui suis-je ?
On a pour habitude d’entendre parler, quand est évoqué le Proche Orient, de guerres meurtrières et fratricides, d’exodes, du massacre des Kurdes aussi. Mais il est rare, sauf dans le cas irakien, que le sort des chrétiens d’Orient, dont les Assyriens forment la majeure partie, soit évoqué. Parce qu’il semble qu’ils sont méconnus d’une bonne partie de l’Occident. Pourtant, à lire l’ouvrage de Romane Iskaria ils forment un ensemble cohérent, tous unis par une langue qui disparaît peu à peu faute d’être parlée, écrite, des pratiques sociales, culturelles et religieuses communes. Peuple voyageur, peuple bâtisseur, des cités ont émergé de leurs mains, mais disparaissent maintenant. Malheureusement, comme bien des peuplades sans pays, ils souffrent et servent de cible à des pouvoirs autoritaires. L’instabilité politique de cette région du globe (il ne faut pas oublier que depuis les années 80 elle a connu la guerre entre l’Iran et l’Irak, les deux guerres du Golfe, le conflit syrien, la présence de l’État Islamique, sans compter les guerres civiles entre kurdes et turques ou irakiens.) ne favorise pas la sécurité des personnes et a même pour conséquence de provoquer un exode massif des Assyriens.
©Romane Iskaria |
C’est porteuse de cette histoire, de ces origines que Romane Iskaria a pu rencontrer divers membres de la communauté, qui lui ont livré leurs sentiments sur l’exode, l’accueil, mais aussi la mémoire collective.
Tour à tour, ils nous ouvrent leurs cœurs, et, en écho aux photographies de l’artiste, nous construisons pas à pas un souvenir, un en-commun. Derrière chacun des objets, chacun des portraits, qu’il soit individuel ou collectif, mais aussi dans les cartes ou les images d’archive, ont sent l’âme d’un peuple, une fierté d’appartenir à quelque chose de bien plus vaste.
Ninmar, exilé de Syrie, raconte la difficulté à s’intégrer quand on vous assimile systématiquement au terrorisme islamiste (paradoxe de celui qui prie le dieu des chrétiens) et en quoi l’humour devient porte de sortie et voie de réussite.
Narho, le coiffeur, évoque le travail de mémoire qu’il mène depuis quarante ans, qui l’a amené à revenir en Turquie pour chercher si ce n’est des réponses, au moins des traces.
Et Tybelia, elle, convoque les souvenirs d’une communauté soudée, unie, avec les règles desquelles il ne faut pas déroger…
Tous chantent le déracinement, le pays, la culture. Tous parlent d’eux au singulier et au pluriel, tous sont la mémoire des ancêtres de Romane.
©Romane Iskaria |
Assyrians n’est pas qu’un simple ouvrage de découverte. C’est bien plus que ça. Avec ce travail la photographe non seulement construit son identité, ou du moins une part de celle-ci, mais aussi nous propose un éclairage nouveau et intime sur ceux dont nous ne savons pas grand-chose.
Les Assyriens semblent terriblement méconnus en Europe et cette absence de lumière leur porte préjudice. Alors qu’ils luttent pour conserver le lien, pour ne pas perdre les traditions, le risque est grand que celles-ci se noient peu à peu au sein de la diaspora et des cultures nouvelles qu’il faut intégrer. Le risque est grand aussi que les différents régimes politiques à l’œuvre au Proche-Orient ne poussent à la disparition de ce peuple, que ce soit par l’assimilation forcée, les exactions militaires ou autre.
Romane Iskaria fait donc œuvre d’historienne, mais aussi de transmission. Son livre porte haut la vie, la joie, les peines, les rites et coutumes de ces gens, porte haut ce qu’elle est aussi.
C’est par ce type de travaux qu’on peut lutter contre l’oubli et à notre époque cela semble primordial. Romane le fait de manière bouleversante et remarquable, espérons que la voie qu’elle ouvre sera suivie par d’autres.
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