Ce que vaut une femme : Les douze heures du jour et de la nuit – Elsa & Johanna
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» Songez aussi à ce que serait votre existence sans le mari […] «
Une jeune femme bondit sur un lit, tout sourire en short et en basket.
» Tirons aussi de l’oubli où souvent nous les laissons, nos livres d’éducation […] »
Une jeune femme est allongée dans un fauteuil, elle regarde l’objectif un peu alanguie, avec un demi sourire.
Puis ce sont d’autres phrases où il est question du respect dû à l’époux (et à sa famille), du choix d’une profession qui puisse permettre de rester au sein de sa famille, de la nécessité pour une femme d’être mère.
Puis se sont d’autres images, d’autres femmes, tantôt garçonne à casquette de cuir, parfois regardant par la fenêtre à travers les rideaux alors que la TV est allumée ou fatale dans une salle de bain que Hitchcock n’aurait pas renié.
Vingt-quatre rôles de femmes modernes au regard d’un texte qui nous semble totalement anachronique et inconcevable de nos jours.
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Ce que vaut une femme : Les douze heures du jour et de la nuit est un livre surprenant à plus d’un point.
D’abord par sa construction : le choix d’imprimer parallèlement le texte d’Éline Roch et de mettre en perspective les images proposées par les artistes amène une forme de mise en abyme où lecteurs et lectrices doivent passer d’un univers à l’autre pour comprendre la nécessité de ce travail. Le texte d’Éline Roch fourni des conseils surannés, datés et particulièrement réducteurs sur la place sociale et morale de la femme, alors même que les images des deux artistes invitent à imaginer la vie de personnes modernes, paraissant pleinement intégrées socialement. Le contraste est saisissant entre une époque où le poids moral qui pèse sur les femmes est écrasant, où leurs droits n’existent pas (il faut se rappeler qu’une femme ne peut travailler, posséder un compte en banque qu’avec l’accord de son père ou de son mari), et la nôtre où la liberté d’être soi et d’être maîtresse de son existence semblent acquises.
Ensuite, parce que la proposition d’Elsa & Johanna se révèle savoureusement ironique face à un texte extrêmement sérieux. Les préconisations extraites de Ce que vaut une femme : traité d’éducation morale et pratique des jeunes filles construisent un univers où la femme est reléguée à une place subalterne (la maîtresse de maison qu’on retrouve fréquemment dans la littérature de l’époque), univers somme toute angoissant quant à la considération qu’avait la France du XIXème siècle pour les femmes. Or, ces personnages qui jalonnent Ce que vaut une femme : Les douze heures du jour et de la nuit sont l’antithèse de l’attendu social : fonceuses, vivantes, sensuelles, nous pouvons imaginer qu’elles auraient fait grincer des dents il y a cent cinquante ans !
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Si chacun, chacune, s’inventera sa propre histoire en regardant les scénettes proposées, tous pourront y voir quelque chose de politique.
Par ce travail Elsa & Johanna et The Eyes Publishing mettent en relief d’un côté les droits acquis par les femmes dans le long combat qui a été (et qui reste) le leur depuis plus d’un siècle. Il n’est plus vraiment question de nos jours de faire des jeunes filles de parfaites maîtresses de maison dévouées corps et âme à la réussite de leurs époux, cantonnées au rôle de mère aimante (en cela les gravures qui illustrent les propos d’Éline Roch sont à la fois édifiantes et terrifiantes). Les femmes s’affirment à travers les archétypes proposés comme féminines, actives, autonomes, pleinement intégrées.
Pourtant, il reste de façon sous-jacente plusieurs questionnement. D’une part sur la place réelle des femmes dans la société française, plus largement dans les sociétés occidentales. Ce n’est pas un secret que l’égalité n’est pas encore là, parfois même de manière particulièrement injuste et Les douze heures du jour et de la nuit invite à réfléchir à cette situation. Ce qui, d’autre part, pousse à s’interroger sur la fragilité des droits des femmes. Qu’on ait pu enseigner, à travers des livres comme Ce que vaut une femme et qu’on l’ait fait pendant longtemps laisse perplexe. Ne serait-il pas possible que certains souhaitent revenir en arrière ? Quelques discours, clamés haut et fort, font parfois froid dans le dos, tout comme les 150 féminicides annuels.
Il paraît important quand on lit le travail d’Elsa & Johanna de prendre en compte ces faits et de se dire que rien n’est gagné d’avance. Il paraît aussi important de prendre en compte la nécessité de tels livres : sans eux on oublie peu à peu le passé et oublier l’Histoire, les événements, les textes, n’est jamais une bonne chose.
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Ce que vaut une femme : les douze heures du jour et de la nuit est un ouvrage essentiel pour qui veut comprendre, d’une autre manière, le long chemin parcouru par les femmes dans leurs combats pour accéder si ce n’est à une vraie égalité, au moins à une place plus enviable dans nos sociétés.
Par ses côtés ironiques, moqueurs, par le choix d’opposer le sérieux parfois glaçant des propos d’Éline Roch à des images pleines de vie, de liberté, Elsa & Johanna, mais aussi The Eyes Publishing, poussent à la réflexion.
Remercions-les donc pour ça, pour ces choix courageux et nécessaires avant de continuer nos parcours dans ces vingt-quatre heures des vies de femmes modernes.
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