Way To Blue – Arnaud Chochon
©Arnaud Chochon |
Il est là, reflet dans des lunettes. C’est Benoît, le frère, qui ressurgit au hasard d’une pellicule.
Il est là parce qu’il a pris une photo, comme ça pour le fun, empruntant l’appareil d’Arnaud.
Il est là dans les mémoires, les souvenirs.
Mais maintenant il n’est plus là.
Que reste-t-il quand il ne reste plus rien ? Où plutôt que reste-t-il aux vivants ?
C’est ce que nous invite à découvrir Arnaud Chochon avec Way To Blue paru chez Filigranes éditions.
Des pas sur le sable s’éloignent peu à peu, traces infimes de vies minuscules. La plage est là pourtant, éternelle et permanente.
Au détour d’un chemin une vieille maison, une barque blanche et rouge, ambiance lugubre de froid, de bruine et de tristesse.
Puis c’est aussi la forêt, la pluie qui brouille les vitres, des larmes de gel à la surface des étangs.
C’est aussi des visages revenants, Benoît peut-être, des ami.e.s, ceux qui restent et qui doivent composer avec un vide permanent.
C’est aussi la fragilité de grosses mains nouées portant un bouquet de fleurs jaune-orange.
C’est encore un arbre mort, un poulain qui s’échappe, la brume, la neige et quelques poires flétries dans un compotier.
C’est un homme qui pêche les nuages, le soleil et l’océan.
C’est partout l’absence de Benoît, le temps qui s’ensemble s’étirer indéfiniment, les heures lourdes, la mémoire des bons souvenirs, la joie teintée de mélancolie.
©Arnaud Chochon |
La très grande force de Way To Blue est l’infinie délicatesse avec laquelle Arnaud Chochon évoque son deuil. Il n’y a pas ici d’images dramatiques et certainement convenues. Au contraire, chaque moment est un instant de pudeur, une grâce toute en retenue.
Parfois, au détour d’une photographie on sent une tristesse lourde, quelque chose d’animal et brutal, qui surgit sans crier gare. Parce que c’est ça la mort : l’envie de hurler notre refus, notre désarroi. Puis, quelques instants plus tard il y a un apaisement, des moments de douceur, il faut bien accepter l’inacceptable, vivre avec parce qu’on vit sans.
Arnaud prend le temps de nous convier dans les méandres de cette absence. Il n’est pas seul, d’autres l’accompagnent. Affronter le malheur à plusieurs, ne pas se laisser abattre et résister aux vents comme le fait l’arbre du bord de mer, continuer à avancer, il ne reste que ça à faire.
©Arnaud Chochon |
Alors que reste-t-il une fois que celui qu’on aimait, le frère, l’ami ou l’amant n’est plus là ? Là où les médecins, les psychologues, et autres vont parler de deuil à faire, d’étapes à suivre, celui qui le vit doit faire face à la simple et cruelle réalité du vide, du creux. Il reste à accepter, comprendre maintenant que celui qui était n’est plus.
Écrite ainsi la phrase paraît simple, presque évidente et banale.
Pourtant Way To Blue nous confronte à une réalité autrement plus complexe. Le décès ampute la fratrie d’un membre. Or, les photographies d’Arnaud Chochon amènent justement dans le territoire de la perte, comme une partie de soi devenue fantôme et invisible mais qui malgré tout nous poursuit sans cesse, reste là en permanence.
Parce que c’est de ça dont il s’agit : vivre avec le souvenir, accepter l’oubli.
©Arnaud Chochon |
Il faut, je crois, beaucoup de courage pour parler de la perte d’un être cher. Il faut aussi beaucoup de tendresse et d’abnégation. Évoquer ainsi le ou la disparu.e c’est risquer de raviver des blessures enfouies, c’est aussi risquer de ne pas être compris. Parce qu’après tout cette mort n’est pas la nôtre.
Mais, Way to Blue est un livre d’une grande sincérité. Mélancolique sans être larmoyant, triste sans être désespéré, cet ouvrage est juste.
Cette justesse nous la devons à l’honnêteté d’Arnaud Chochon qui, s’éloignant des écueils du pathos, ouvre son cœur et semble nous dire : « Je vous offre ça, faîtes en ce que vous voulez, ce que vous pouvez. »
Alors, on parcourt les moments passés avec et sans Benoît, on marche sur ces plages immenses et on contemple les chevaux et les étangs. On compatit à la peine du photographe. Une fois le livre fermé reste une sensation de douceur et d’apaisement, comme si Benoît, même disparu, restait ici pour toujours, empreinte au sein des pages de Way to Blue.
27€