7 AM -Tereza Kozinc/Klavdij Sluban
©Tereza Kozinc/Klavdij Sluban |
Cet ouvrage évoque les premières années de Martin, le fils de Tereza et Klavdij, dans ce qui n’est pas un album de famille, mais plutôt un détour dans la mémoire.
L’enfant est né. On se souvient c’était un 17 juillet, à 7 heures et 7 minutes, sur le bracelet l’identifiant, le nombre 2777.
Dehors, il y a la forêt, des brumes aussi, parfois une future mère qui marche, l’eau de la rivière. Le petit est là, au creux d’une épaule, attablé et calme comme un moine zen. Il crie, peut-être de fin ou de fatigue, et dehors la forêt est toujours pleine de brumes.
Il a neigé un peu, ses mains agrippent le rebord d’une table, va-t-il marcher ?
Le ventre de sa mère, puis sa mère, puis la mer, la neige encore, des fleurs et une myriade de fragments.
Martin est là, les vies sont chamboulées entre couches et multitudes de post-it. Il ne faut rien oublier, mais à la fin, nous allons nous souvenir de quoi ?
©Tereza Kozinc/Klavdij Sluban |
7 AM n’est pas un album de famille, ou alors il est ce que devraient être tous les albums : un récit fragmenté de ce qui fait les souvenirs.
Tereza Kozinc et Klavdij Sluban nous invitent dans une dimension différente de celle à laquelle nous sommes habitués. En général, les images dans ce type d’exercice sont plutôt figées, cadrées, révélant des moments un peu tous similaires : Maman allaite bébé, mon premier déguisement, youpi c’est Noël, la joie des grands-parents. En soi, rien de désagréable, au contraire ça permet de se rappeler ce qui a pu se passer, ces étapes presque obligatoires et chronologiques de ce que sont les débuts dans la vie. Il n’empêche que l’exercice reste figé, et, soyons honnêtes, un peu ennuyeux.
Le choix ici de mettre en place non seulement des fragments de souvenirs, de ne tenir aucun compte de la chronologie ouvre une perspective bien plus intéressante et rafraichissante.
©Tereza Kozinc/Klavdij Sluban |
Dans un texte d’ouverture le livre est présenté comme (un) « non-album de famille […] dédicacé à notre famille. ». Or, 7 AM se révèle bien plus profond que tous les albums de famille existant.
Si on se penche sur nos propres souvenirs d’enfance, ou si nous essayons de nous rappeler l’enfance de notre progéniture (si toutefois nous en avons une), il semble que la mémoire se perdre dans des instants, des tranches très fines de réel souvent dissociées les unes des autres. Il n’y a pas toujours, pas souvent, un continuum temps avec un début et une fin. Par ailleurs, à ces images s’ajoutent des sensations : on se souvient du goût d’un bonbon, d’un gâteau, de l’odeur d’un lieu. On se rappelle un matin de brume avant l’école, un sourire, et tant d’autres choses.
Et le déguisement reçu pour nos trois ans reste bien souvent une simple référence dans une image qui ne nous rappelle rien.
Tereza Kozinc et Klavdij Sluban en mêlant leurs photographies croisent leurs propres mémoires, leurs propres instants.
Il ressort de tout ça un livre très touchant.
©Tereza Kozinc/Klavdij Sluban |
En effet, la présence de Martin, la fragilité qui émane des photographies qui le présentent sont des instants de grâce, de légèreté qu’entrecoupent d’autres moments de feu, de lumière et d’eau.
Peu importe où les choses se sont déroulées, peu importe qui était là, pourquoi et comment. Il y a ici le besoin de faire des photographies, de capturer, de figer des choses qui dépassent le simple souvenir.
7 AM est par-delà le moment, par-delà l’anecdote. C’est un ouvrage où nous pouvons retrouver tout ce qui fait la condition humaine : l’amour, la fatigue, la joie, le doute, la fragilité. C’est un ouvrage sincère.
Tereza Kozinc et Klavdij Sluban réinventent un monde, le réenchantent. Ils amènent le lecteur dans un espace-temps incertain et indéfini où, pourtant, nous pouvons nous sentir pleinement chez nous. La maison est là, nos souvenirs aussi, dans ces photographies de rien, de tout, c’est sûrement ce qui fait le sel de toutes les existences, leur essence.
45 €