Hantises – Catherine Duverger
©Catherine Duverger |
A cette occasion la photographe plasticienne s’est intéressée à la rivière la Seiche, affluent de la Vilaine, qui fût polluée en août 2017 suite à un rejet massif de lactose par l’usine Lactalis.
Utilisant la technique de la surimpression, et la métaphore visuelle, Catherine Duverger nous invite à considérer l’impact de cette pollution, mais de manière plus vaste et ouverte à prendre conscience des conséquences de nos comportements sur la nature et particulièrement l’eau.
Les irisations arc-en-ciel d’une nappe d’hydrocarbures teintent la rivière de chatoiements, le beau se mêle au dramatique.
C’est un matin de brume où la rivière coule lentement dans les volutes percées par le soleil. Mais des spores étranges viennent recouvrir l’image.
Une brème gît, morte, alors que des boules spongieuses envahissent les photographies, comme une lèpre qui gangrènerait tout.
Heureusement, la publicité est là pour nous rassurer : des enfants avec des tartines de fromage frais, une laitière accorte et souriante, et la rivière qui s’écoule indéfiniment. Ouf, tout va bien…
Pourtant, les moisissures sont partout, tâchent les images, invasives, presqu’angoissantes.
On ne sait ce qui hante ces pages… On sait seulement que quelque chose est là qui présente un danger.
©Catherine Duverger |
Une hantise si l’on en croit le Larousse est « une obsession, une préoccupation constante ». Or, Hantises nous invite dès lors à considérer notre rapport à la pollution, à la présence de traces de l’activité humaine au cœur des espaces naturels et surtout à comprendre que rien n’est anodin. Dans un texte qui accompagne les photographies Hugo Kostrzewa écrit : « Il est question de pollution quotidienne aux sources multiples, mais qui ne fait pas de vagues. »
Et c’est bien là que se noue le problème.
Nos modes de vie axés sur un modèle où prime la consommation induisent de fait une trace de plus en plus forte de nos activités et ça à quelques niveaux que ce soit.
Bien sûr, la pollution de la Seiche par l’usine Lactalis a mis en avant, par son aspect particulièrement destructeur du biotope, les risques inhérents à notre système productif. Mais qu’en est-il des micros pollutions que chacun d’entre nous génère ?
Elles sont invisibles pour la plupart, mais les analyses révèlent régulièrement des traces de pesticides, de métaux lourds, d’antibiotiques. Il n’y a donc strictement rien de bénin à vivre comme nous le faisons. Malheureusement, nous ne le voyons pas, simplement parce que ce n’est pas visible.
©Catherine Duverger |
Or, le travail de Catherine Duverger à travers Hantises invite à reconsidérer notre point de vue et peut-être à une prise de conscience. Ces spores, ces virus, ces bactéries qui envahissent les images, ce brouillard si présent sont autant de manières de nous amener à comprendre que nous sommes aussi responsables de ce qui se passe et que l’Homme à sa manière hante la Nature.
Il n’y a pas dans le travail de Catherine Duverger une dimension culpabilisatrice, que nous retrouvons parfois trop dans certains discours. Simplement, elle nous amène avec délicatesse et sensibilité là où se tient le cœur du problème : toute activité humaine a une conséquence. A nous d’en prendre conscience autrement qu’au moment des catastrophes industrielles comme celle de 2017.
©Catherine Duverger |
La Nature et l’humanité ne peuvent fonctionner l’une sans l’autre (de très beaux cyanotypes insérés au cœur de l’ouvrage, superposant hommes, femmes et rivière nous le rappellent) ; Les Hommes ont besoin du vivant pour continuer à vivre, simplement exister. Il serait peut-être loisible, donc, d’en prendre vraiment conscience et de reconsidérer notre rapport à ce qui nous entoure.
Hantises est un livre qui ouvre une profonde et nécessaire réflexion. Par les métaphores qu’il contient, par les niveaux de lecture qu’il amène, par la polysémie des images, c’est un ouvrage complexe et dense.
Catherine Duverger nous offre un travail magnifique et conscient, à nous d’en comprendre les subtilités et les méandres afin de pouvoir demain nous promener sur les bords d’une rivière vivante.
Site des éditions Sur la Crête
25€