Luminescences – Lucie Pastureau
©Lucie Pastureau |
Lucie Pastureau a effectué une résidence dans un service accueillant des adolescents en souffrance d’un hôpital lillois en 2017, puis elle y est revenue plus ponctuellement en 2018 et 2019.
De cette expérience est né Luminescences paru aux Éditions Hartpon (Carolien Perreau). Ce livre, à la croisée du documentaire et de la photographie plasticienne, n’est pas une recension un peu voyeuriste et cliché des tourments de l’adolescence comme nous pouvons en voir régulièrement. Il s’agit plutôt d’un voyage au cœur de la lumière intime qui émane de chacun et chacune d’entre eux.
Une jeune fille au corps en arc au-dessus d’un baby-foot, une autre juchée sur un chariot métallique que pousse une de ses amies. Des visages graves ou pensifs, parfois rêveurs quand ils sont baignés de lumière. Un château de cartes dans la pénombre, tout est dans un équilibre fragile, un simple souffle, un petit choc amènerait l’effondrement.
Puis, des images en négatif à l’étrange lumière révélant des cicatrices, des corps allongés presque comme des gisants, d’autres qui voyagent, des failles, et ces mots : endroits lointains.
L’espace ? Les images de lointaines galaxie ? Un trou noir ? Ils sont là très souvent, comme un écho à ce que ressentent les adolescents.
Et à chaque instant la lumière émane de la noirceur, la noirceur circonscrit la lumière ; alpha et oméga des existences de ces jeunes filles et jeunes garçons tourmentés.
©Lucie Pastureau |
Nietzsche a écrit : « Il faut porter en soi un chaos pour mettre au monde une étoile dansante. » Il ne pensait peut-être pas simplement aux tourments adolescents, mais ces mots font écho avec le travail photographique de Luminescences.
En effet, que fait Lucie Pastureau si ce n’est faire émerger de chacun des patients/patientes du service la part de lumière qu’il porte en lui alors même qu’il est dans un mal-être presqu’insurmontable ?
C’est la grande force de cet ouvrage et la marque d’espoir que chacun d’entre nous pourrait porter. Au cœur des ténèbres, dans ces moments de doutes, de violences, où la mort est souvent plus qu’une idée abstraite, il existe quelque chose, une sorte d’espace intermédiaire baigné de lumière.
Mais, il faut aller le chercher et c’est bien souvent le plus difficile.
Par sa patience, par le lien qu’elle noue (et la copie de son carnet de notes pleine de petites phrases glanées au jour le jour incluse dans Luminescences, montre à quel point la confiance s’est établie entre la photographe et les adolescents) Lucie Pastureau explore la part lumineuse de chacun d’entre elles, d’entre eux.
©Lucie Pastureau |
Toutefois, le projet ne s’arrête pas à cette capacité à extraire la lumière. Il va plus loin parce que chaque image de chacun des adolescents reflète un éclat qui lui est propre. Or, on peut imaginer que ce qu’il leur manque c’est justement de voir sa propre unicité, ses qualités (si l’on part du postulat que la lumière symbolise les qualités en opposition à l’ombre qui serait les défauts).
Nous portons tous en nous une étoile, une luminescence (« L’émission d’une lumière par un corps non incandescent » si l’on en croit Le Robert), nous avons tous nos propres rayonnements que parfois nos ombres, nos vies, nos troubles nous masquent. Lucie Pastureau, elle, va creuser l’ombre, explorer le cosmos à la recherche de galaxies internes.
Au même moment que la photographe menait sa résidence, la NASA a choisi de mettre en ligne des images libres de droits. Et ces photographies de l’espace montrent des lieux où lumière et ombre s’opposent constamment. En s’en emparant, en les incluant dans son projet, Lucie Pastureau élargi son travail en faisant coexister le minuscule et l’immense, mais surtout en les reliant. Tous deviennent à la fois l’ouvert et le fermé, la lumière et l’ombre, le terrestre et le céleste.
©Lucie Pastureau |
Luminescences est un livre unique, un ouvrage d’une belle et profonde sincérité. Chaque page, chaque image, invite le lecteur à porter son regard plus loin qu’une simple évocation. Les adolescents et adolescentes présents sont malheureux, pourtant Lucie Pastureau a réussi le pari de les extraire, un instant, de leurs douleurs.
Bien sûr, la lumière n’existe pas sans l’ombre et il aura sûrement fallu encore du temps pour que ces jeunes personnes sortent de leurs trous noirs personnels, mais nous pouvons espérer sinon croire que le travail de la photographie a pu les aider, les amener à devenir leurs propres étoiles dansantes un instant.
30€