Photografrika – Adrien Tache
©Adrien Tache |
Alors que certains d’entre eux furent reconnus par les plus hautes institutions (on peut se rappeler les maliens Malick Sidibé ou Seydou Keïta) dans les années 70/80, l’arrivée massive du numérique, via les téléphones portables notamment, l’augmentation du prix de l’argentique marquent la fin d’une profession qui pourtant faisait partie intégrante des sociétés africaines.
Adrien, grand voyageur (on relira avec plaisir son livre Fugees paru chez Saturne éditions et chroniqué sur 5ruedu) a donc traversé l’ouest de l’Afrique pour, au moins, marquer le souvenir de ces derniers survivants d’une époque.
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Ils sont là, page après page, maliens, burkinabés, nigériens, marocains et tant d’autres. Ils sont là avec leurs appareils qui nous fixent.
C’est d’abord, à Nouadhibou, lors de la rencontre avec Alpha Diallo un guinéen qui travaille avec un vieux Chinon usé et cabossé que naît l’envie chez Adrien Tache de partir sur les traces des confrères.
Puis il y a les rencontres, les boutiques, les tissus bariolés, des hommes, des femmes, des bordures de fleuves, la brousse. Studio Africa, Studio Photostar, Studio Photo De La Paix ; il semble y en avoir encore partout de ces petites échoppes qui font du portrait, des photos d’identités, et tant d’autres choses.
Chaque page amène une nouvelle personne, une autre façon de voir le monde, de le comprendre peut-être, au moins de l’aimer.
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Photografrika n’est pourtant pas un simple catalogue de rencontres. Bien sûr le travail d’Adrien Tache fait, comme à l’accoutumée, la part belle à l’humain dans son acception la plus large. Le photographe voit en l’autre un semblable, un frère, une sœur qu’il convient avant tout de comprendre.
Mais ce livre amène une réflexion plus vaste sur le pouvoir de la photographie d’une part et sur le lien d’autre part.
En effet, la photographie africaine, assez méconnue en Europe, se cherche. Il y a eu les figures tutélaires évoquées en préambule, qui donnèrent non seulement des lettres de noblesse à une photographie post-coloniale qui émergeait, mais qui permirent de montrer aussi des sociétés africaines en pleine mutation. Qu’on se rappelle le travail de Malick Sidibé et nous aurons un bel aperçu de ce qu’était la culture et la vie bamakoise après 1962 (date de l’indépendance du Mali).
Or, la disparition de ce métier de studiotiste ouvre un questionnement plus vaste : qui couvrira, montrera ou gardera la trace de comment vivent les peuples à notre époque ? Bien sûr, la volonté des photographes n’est pas nécessairement de faire œuvre de mémoire, mais nous savons tous que les photographies vernaculaires ont aussi cette qualité.
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Par ailleurs, Photografrika invite à une autre réflexion sur la nécessité du lien. La culture africaine, peut-être plus largement la culture humaine, semble devoir fonctionner sur la rencontre et le partage. Malheureusement notre époque est de plus en plus marquée par l’individualisme (dont nous ne sommes pas entièrement responsables).
Or, faire disparaître ces magasins, ces studiostites, c’est aussi mettre fin à une forme précise de sociabilité. Qu’on se rappelle les années 50 en France et l’habitude de la population d’aller chez le photographe pour immortaliser plusieurs événements : service militaire, baptême, mariages et autres. Celle-ci paraissait avoir perduré sur le continent africain et la volonté d’Adrien Tache de le mettre en avant paraît comme la volonté de pointer l’importance de maintenir ceci.
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Malheureusement, le monde est ainsi fait, l’économie, le capitalisme et tant d’autres facteurs exogènes font que peu à peu de Dakar à Bamako il n’y aura bientôt plus de vieux appareils bricolés, de moments de rires et de studio de bric et de broc.
Chacun aura un téléphone portable certes très pratique, puissant et performant mais tellement impersonnel.
Bien sûr, on ne peut pas aller contre la modernité, mais quand même parfois elle n’a pas que du bon et sans faire œuvre de passéisme nous pouvons tout de même regretter la fin de ce qui forge l’amitié entre les gens : la rencontre.
Adrien Tache avec Photografrika nous invite, à l’égal de ce qu’a pu faire Raymond Depardon avec une partie de la paysannerie française, à ne pas oublier ceux et celles qui ont contribué par leurs images à immortaliser un monde qui disparaît.
Il faut espérer deux choses : que le Temps se fige pour que ces studiotises perdurent encore un peu et qu’Adrien Tache reparte encore et encore à la rencontre des Autres. Il le fait de si belle manière qu’il serait dommage qu’il s’arrête.
Site des Éditions images plurielles
25€