Lettres à Rosa B. – Irène Jonas
©Irène Jonas |
Mais depuis quelques mois, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, elle revient au premier plan ce qui n’est que justice au regard de son travail et de sa personnalité. Pendant un an, à l’occasion d’une résidence d’artiste, la photographe, écrivaine et sociologue Irène Jonas a pu séjourner au château de By où résida Rosa Bonheur, qui est maintenant un château-musée. L’artiste propose un travail mêlant écrit et photographie où, parallèlement à ses images peintes, elle offre une correspondance imaginaire qu’elle aurait pu avoir avec la peintre par-delà les années.
Un livre, publié aux Éditions de Juillet, Lettres à Rosa B. conclu ce travail ainsi qu’une exposition dans les jardins du château.
Les images sont là, presque comme des peintures. On déambule dans le parc et les animaux, ces animaux si chers à Rosa Bonheur qui faisaient l’essence de son travail, nous suivent. Un chien, des moutons, un cheval, plus loin il y a quelques dames en capeline, une cheminée, la quiétude.
C’est un monde en sourdine, doux et délicat, un monde où l’on sent à chaque page l’âme de la peintre, la douceur du temps qui passe.
La magie opère et par la grâce des images d’Irène Jonas nous sommes dans un XIXème siècle finissant, dans un temps suspendu, proustien presque. Mais nous sommes aussi aux prémices de la photographie, étrange sensation d’être ancré dans notre époque tout en étant dans celle de Rosa Bonheur.
Sensation magique…
©Irène Jonas |
C’est alors qu’apparaissent les premières lettres, celles qu’une femme du XXIème confie à une sœur par-delà le temps.
Et que nous apprennent ces missives ?
Deux choses primordiales. La première : Rosa Bonheur fût très en avance sur son temps par ses choix. Elle qui dû demander une autorisation au préfet de police de Paris pour porter un pantalon, elle qui choisit de gagner sa vie par son propre travail à une époque où les femmes ne travaillaient que dans l’ombre de leur père ou de leur époux, elle qui ne se maria pas, ne fit pas d’enfants, elle qui fût reconnue comme peintre par ses pairs, était une femme moderne et iconoclaste. Il faut recontextualiser l’époque pour voir combien Rosa Bonheur peut être perçue comme précurseuse du féminisme.
La seconde est peut-être plus problématique. En effet, en lisant les lettres d’Irène Jonas on prend conscience que, si la condition féminine évolue positivement, il reste encore bien du chemin à parcourir. L’époque est moderne, le progrès a fait son œuvre, mais malheureusement l’égalité n’est, trop souvent, qu’un mot.
Chaque lettre se propose donc d’explorer un thème, de la sexualité, du choix du célibat et de ne pas faire d’enfant à celui du monde animal et de sa défense en passant par la mort des êtres chers. Irène Jonas dépeint avec une grande acuité les progrès accomplis, les avancées positives, mais aussi les retards, les différences de traitements et inégalités qui pèsent sur les femmes du XXIème siècle. S’éloignant de son métier de sociologue, il s’agit plutôt ici d’une femme moderne qui parle à une autre femme moderne.
©Irène Jonas |
Nul doute que Lettres à Rosa B. est un livre édifiant. Il pointe, sans complaisance mais sans acrimonie, ce qui fait les forces et faiblesses de la condition féminine en 2022. Bien sûr le tableau n’est pas du tout idéal et il reste bien du chemin à parcourir.
La femme n’est pas socialement, politiquement, économiquement l’égale de l’homme malheureusement, et Irène Jonas nous le montre à travers ses missives. Ce qui amène cette réflexion : qu’aurait pensé la peintre si elle avait pu voir ce qui se passe ici et maintenant ?
Surprise ? Etonnement ? Joie ? Sûrement tout ceci. Colère peut-être aussi face aux injustices que subissent nombre de femmes. Qui sait… On ne fait pas d’histoire avec des si, mais on peut cependant imaginer aisément que Rosa Bonheur, tout comme la photographe, se serait affranchie des diktats qui existent encore.
Libre elle était, libre elle restera.
Après ce moment de lecture, il faut laisser les deux « sœurs » poursuivre leurs discussions. L’une et l’autre on tant à apprendre, tant à nous apprendre.
Et nous pouvons espérer que demain se dresseront d’autres Rosa Bonheur, d’autres femmes libres pour qu’enfin les mots équité, égalité deviennent des réalités.
Irène Jonas est membre de l’agence révélateur
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