Lueurs cendrées – Romann Ramshorn
Comment qualifier celui qui part et revient de ses pérégrinations, plein de souvenirs et d’images mais n’en fait pas un étalage complaisant et ennuyeux ?
Comment qualifier Romann Ramshorn ?
C’est en lisant Lueurs Cendrées que ces interrogations naissent, et bien d’autres…
©Romann Ramshorn |
Une rue dans un village turc, c’est l’hiver, la neige fond à peine, les stalactites de glace ornent les toitures.
Plus loin, toujours en Turquie, Istanbul, trois hommes. L’image est datée de 2010, mais elle aurait tout aussi bien pu être prise en 1970 tant son intemporalité est marquée.
Détours : des champs de blé en Espagne, le courant d’Huchet dans les Landes. Toujours ce noir et blanc magnifique, au grain léger.
Toujours cette impression d’être hors du temps, hors des lieux.
Voyage : des routes de nuit dans l’Hérault ou le Bade-Wurtemberg, un homme seul à Bordeaux devant la gare peut-être.
Les heures sont lentes, le temps ici n’a pas de prise.
©Romann Ramshorn |
S’attarder sur Lueurs Cendrées c’est accepter de suivre une autre photographie, un autre rythme, d’autres instants. Parce que tout dans le travail de Romann Ramshorn s’éloigne de l’image informative, de l’image de voyage, justement, bardée de couleurs, de clichés, de choses vues, revues et convenues.
Ici ce sont des non-lieux, des non-moments, ce qui, en somme, fait la saveur si particulière de l’Ailleurs, du périple. On sent le photographe qui s’attarde, qui prend le temps (encore une fois, ce temps si précieux que nous gaspillons en courses effrénées, en séjours all inclusives, en vaines photographies Instagram) et qui en s’en imprégnant devient le l’endroit, le moment.
Alors, pareil à Nicolas Bouvier, à Blaise Cendrars, Romann Ramshorn nous donne sa lecture du monde.
©Romann Ramshorn |
Lueurs Cendrées pourrait être comparé à L’usage du Monde le livre de Bouvier. Parce qu’à son instar c’est une sorte de guide des petits moments, des choses délicates, légères et futiles, poétiques, parce qu’il fait la part belle à ce qui est réellement et non à des fantasmagories de catalogues touristiques.
Il y a de la beauté à chaque page, une forme de mélancolie tranquille que nous soyons à New-York, en Corrèze ou à Istanbul. Et le photographe nous révèle mille détails anodins, mille instants fugaces que nous n’aurions même pas entraperçu.
©Romann Ramshorn |
Avec Lueurs Cendrées, Romann Ramshorn propose un livre surprenant, envoutant. Quelque part entre Koudelka et le Depardon de Errances, nous nous retrouvons à ses côtés, suivant ses pas, sa solitude douce.
Vient alors une envie d’ailleurs, de départ pour le Bosphore ou un désert espagnol.
L’envie de monter dans un train avec pour simple bagage un appareil photo et quelques visions noir et blanc.
L’envie surtout de parcourir le monde, de partir à la rencontre de ceux et celles qui ne sont pas nous, de ces lumières poudreuses de fin d’après-midi.
Romann Ramshorn est un wanderer, un vrai, de cette catégorie si particulière des voyageurs qui ne vont pas visiter, mais plutôt vivre les ailleurs. Et en ce siècle où tout va trop vite, où la Thaïlande devient la banlieue des métropoles occidentales, où prendre son temps n’a plus aucun sens, s’appesantir sur cet ouvrage permettrait surement de découvrir enfin ce que voyager veut dire.
35€