Tout est né un jour du chaos, d’une fracture.
Tout retournera un jour dans le chaos original.
Entre les deux l’Homme aura vécu, grandi, été.
Avec Dysnomia, paru chez Sun/sun éditions, Alexandre Dupeyron courbe le Temps et l’Histoire du Monde, la possibilité de ce qui est.
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©Alexandre Dupeyron |
Dysnomia dans le panthéon grec est la déesse symbolisant l’anarchie, l’anomie.
La dysnomie est une aphasie durant laquelle un sujet ne peut plus nommer les objets.
Enfin, Dysnomie est une lune de la planète naine Eris3, la plus éloignée du système solaire.
De ces trois tropes Alexandre Dupeyron s’empare pour recréer, faire réémerger ce qui est. Ce qui nous entoure n’est peut-être pas l’évidence de ce que nous voyons.
Et ce que nous voyons contient peut-être ce qui fût et ce qui sera.
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©Alexandre Dupeyron |
Conçu à l’image d’un film par Céline Pévrier , Dysnomia se lit, se vit, dans un mouvement circulaire. Le début et la fin ne sont que des contraintes théoriques liées à la mise en page et à la finitude du livre.
Mais l’ouvrage, relié à la japonaise, est un tout cyclique qui bruit d’une musique étrange et sonore.
Nous sommes là face à des instants que nous devons deviner. Des fragments d’un univers qui se transforme sans cesse.
Une femme et des fleurs. Le silence.
La solitude des grandes villes et ses escaliers labyrinthiques. On murmure.
Une forêt.
Un bouillonnement de matière, magma, lave, lichen.
Le feu qui embrase le monde. Ca crépite, ça craque.
Un homme, un cheval.
Tout.
Rien.
Il y a la magie, il y a l’effroi ; il y a la vie, la mort ; tout ce qui va s’écrouler s’écroulera, tout ce qui doit se reconstruire se reconstruira.
Il suffit d’un léger vacillement, pour que tout s’effondre, pour que les choses n’aient plus cette évidence première que nous leur prêtons.
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©Alexandre Dupeyron |
Avec Dysnomia, Alexandre Dupeyron et Sun/sun éditions nous offrent un objet qui n’est pas d’un abord facile.
Il convient de prendre son temps, de s’immerger complétement dans ce corpus pour en sentir la force.
Mais une fois happé par les images, par ce rythme si particulier, par la musique qui nous accompagne (c’est d’ailleurs un des éléments remarquables de ce travail que de rendre les photographies sonores, de donner à entendre), devant nous se déploie ce que nous ne percevons qu’imparfaitement dans nous existences trop rapides.
Tout est relié, uni. Et ce lien ne peut se faire que par ce qu’il y a de plus sensible. Nous sommes les parts d’un ensemble qui ne tient que de manière fragile et incertaine, qui ne se fonde que sur quelque chose de ténu.
Les mots sont imparfaits, parce qu’ils ramènent les éléments à quelque chose de trop précis.
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©Alexandre Dupeyron |
Est-ce qu’au fond Alexandre Dupeyron ne pourrait pas être vu comme celui qui va nous proposer de voir, plutôt que de regarder, avec une acuité nouvelle ? Est-ce qu’il ne peut pas être considéré comme celui qui nous invite à ne plus s’arrêter aux mots, au sens premier ?
L’anomie est la perte de l’ordre (principalement l’ordre social pour Durkheim), mais tout bouleversement contient sa propre réponse : si les choses ne sont plus ce que nous en faisons, si le film que nous regardons tous les jours n’est pas ce que nous voyons, alors Dysnomia, la déesse, a fait une œuvre salutaire : nous devons voir vraiment et différemment, nous devons cesser de babiller et accepter de nous retrouver déboussolés, perdus et aphasiques.
Il y a bien loin entre ce que nous disons et ce qui qui est.
Alexandre Dupeyron propose, aidé par son ouvrage, un accès à une compréhension contradictoire de ce que nous tenons pour acquis.
Il secoue nos certitudes.
Et c’est ainsi que le Monde n’est plus Monde.
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