Félix – Félix The Saiz
Il y a des chats, des rues, des affiches. Des affiches de chats perdus, des affiches sur les chats des rues perdus, des affiches qui appellent à chercher les chats perdus.
De tout ça naît un étrange petit livre : Félix par Félix The Saiz aux Éditions Le Mulet.
©Félix The Saiz |
Des chats.
De toutes sortes.
Gris, noirs au regard jaune, petits, tigrés ou non, jeunes, vieux, avec ou sans collier, angoras, persans, sur un canapé, une chaise, un lit, dedans, dehors
Perdus. Tous perdus.
Des affiches par centaines, par milliers.
Des photographies, des photographies de photographies, des photocopies de photographies.
La pluie qui délave ; les plastiques protecteurs qui emprisonnent la condensation, presque un linceul pour celui qu’on ne veut croire mort : on n’a pas retrouvé le corps.
Les avis de recherche clament le désespoir, la perte et les espérances.
©Félix The Saiz |
Félix The Saiz a choisi d’arpenter les rues pendant huit ans et de photographier ces affichettes, bouteilles à la mer pour retrouver des animaux pas si domestiques que ça.
Puis, Simon Vansteenwinckel et Mat Van Assche se sont emparés du projet et publient un livre à la conception radicale.
Les images sont redécoupées, rognées, triturées. Mis en page à la façon d’un manga, Félix devient ainsi un petit livre un peu ovni dans la production actuelle (ce qui est la marque de fabrique des Editions Le Mulet).
Et il porte en lui une réflexion profonde sur notre attachement aux animaux.
©Félix The Saiz |
Derrière ces affiches, les mots qui les composent, derrière leurs apparitions presque obsessionnelles se devine l’angoisse et la tristesse.
Peut-être un enfant qui pour la première fois de sa vie perçoit de manière confuse et abstraite ce qu’est la mort.
Peut-être un jeune couple fondant une part de son amour sur la présence de l’animal.
Peut-être une personne âgée pour qui la présence du chat a valeur de compagnie parfois unique.
C’est Gilles Deleuze qui, dans son Abécédaire, explique que l’amour entre l’humain et l’animal lui est odieux si il reste dans quelque chose d’humain. Mais dès lors que celui-ci devient animal, il prend alors une tout autre dimension.
Ici, par ce travail obsédant, étouffant, par cette multiplication quasiment infinie des morceaux d’images émergent non seulement la perte, l’angoisse qu’elle génère, mais aussi toute la force « étouffante » de l’amour que le « propriétaire » du chat a pour lui.
Et toute la douloureuse espérance de le revoir un jour par le simple miracle d’une petite affiche format A4.
©Félix The Saiz |
Il y a de l’irrationnel, du magique et du merveilleux dans ce travail de Félix The Saiz.
Déraison de ceux qui croient avec ferveur au pouvoir de quelques photos, d’un morceau de papier.
Magie de l’objet devenant une forme de talisman, de grigri conjurant le mauvais sort.
Merveille si d’aventure le chat est retrouvé, revient à la maison.
La très grande force étant, pour Félix The Saiz et l’équipe du Mulet, d’avoir su dans Félix saisir toutes les trames, les implications de ce à quoi nous ne prêtons plus guère attention : des affichettes.
On ne saura jamais si les chats ont été retrouvés. Mais, grâce à Félix, ils auront eu une seconde vie.
Il leur en reste encore sept.