Zoonose – Cédric Gerbehaye Caroline Lamarche
Il est des livres nécessaires. Zoonose par le photographe Cédric Gerbehaye et l’écrivaine Caroline Lamarche, paru chez Le Bec en L’air éditions en est un parfait exemple.
Réalisé en Belgique, au CHU Tivoli, dans la ville de La Louvière et ses environs, Zoonose plonge au cœur de la réalité violente de ce que furent les premières vagues du COVID.
Dans un monde au bord de l’apocalypse, où la maladie dont on attribue l’origine, alors, à un animal, ravage les corps et les cœurs, les héros sont des femmes et des hommes en blouse blanche, masqués, qui donnent sans compter.
C’est un monde en lutte.
Un monde où chaque seconde gagnée sur le Mort est un espoir.
©Cédric Gerbehaye |
Ils sont là, anonymes, fidèles à leurs postes. Sentinelles du désespoir.
Ils sont là médecins, infirmières, secrétaires. Masqués, gantés, bardés de protections que l’on met de longs moments à enfiler, à enlever. Alors, on ne les pose que si vraiment on ne tient plus, que la fatigue ravage les corps, les âmes.
Le désinfectant nettoie les vivants, les défunts ; la machine à coudre fabrique de dérisoires protections. Les yeux scrutent derrière les masques croisant des regards hâves, exténués, embués de larmes. Qu’importe, il faut combattre sans relâche cette maladie invisible.
Dont on ne sait rien ou pas grand-chose.
Et qui ronge…
» Une routine du vide « écrira Caroline Lamarche.
©Cédric Gerbehaye |
Dehors, c’est la folie des jours confinés. Comme on ne sait se protéger, on se terre. Mais la contagion rattrape les Hommes.
Un corps allongé à même le sol ; la tendresse d’un baiser.
Les cercueils seront-ils assez grands ?
Les kids se masquent le visage de bandanas ; il tousse les bronches encrassées d’un virus délétère.
La police veille qui ne peut protéger contre un ennemi invisible.
Et dans les maisons de retraite, des fantômes gisent immobiles dans leurs nuits nécropoles, reclus.
©Cédric Gerbehaye |
En fin d’ouvrage une série de portraits de soignants offre un regard saisissant sur ces anonymes qui ont su se dévouer avec une abnégation inégalée pour faire tenir un système qui aurait dû s’effondrer.
Parce que Zoonose c’est aussi ça : la chronique d’un moment où rien n’était ni prévu, ni organisé montrant une forme de déshérence des pouvoirs publics.
Déshérence qui n’est pas propre à la Belgique, notons-le.
Le très beau texte de Caroline Lamarche mêlant interview, réflexions personnelles, fait écho à la violente beauté des photographies noir et blanc de Cédric Gerbehaye.
Par ce livre, nous, ceux qui étions cloitrés à domicile, prenons la mesure de ce qu’a été la vie hospitalière en ces heures dramatiques.
Une course infinie, marathon s’éternisant durant des mois et des vagues.
Un combat de tous les instants contre un fléau inconnu, mais aussi contre son propre corps, sa fatigue, son désespoir.
Qu’ils sont admirables ces soignants. Qu’ils sont humains ces malades s’accrochant à la vie. Qu’ils sont seuls ces vieillards enfermés.
Lire Zoonose, c’est, peut-être, s’interroger sur ce qui devrait primer à l’avenir.
L’économie ? Les banques ? Le libéralisme ?
Ou bien l’Homme, l’amitié, la camaraderie ?
L’amour de l’autre.