Tierra Mágica – Yannick Cormier
La Nature vit sa vie au rythme des saisons depuis des millénaires. Et même si l’Homme s’acharne à bouleverser ce qui est immémorial, il n’en reste pas moins que les hivers succéderont aux étés pour toujours.
Mais autrefois, dans des temps anciens et païens, avant que nous ne considérions que polluer la Terre n’est ni grave, ni conséquent, des hommes se grimaient, fêtant cette succession ininterrompue.
Tierra Mágica, par Yannick Cormier, aux Editions Light Motiv, est un voyage aux confins espagnols et portugais sur les traces des mascarades, des carnavals, ces survivances enfouies dans les replis du territoire.
©Yannick Cormier |
La lumière pâle d’un matin d’hiver éclaire une plaine herbeuse gelée. Plus loin patiente un faune couvert de mousse.
Des chemins jaillissent d’étranges créatures mi humaines mi végétales. On se pare de têtes de bœufs, de cornes de taureaux.
Des peaux de bêtes couvrent les corps et l’on s’appuie sur des bâtons noueux.
Des bois montent quelques ricanements ; des taillis froissés, des forêts sombres, partout surgissent les masques qui envahissent ruelles, chemins creux et bords du monde.
©Yannick Cormier |
Héritages de traditions très anciennes, les mascarades espagnoles auraient pu disparaitre.
Sous le régime dictatorial de Franco, elles furent interdites, chassées. Pourtant, elles ont survécu, comme un hommage inarrêtable au cycle des saisons, comme un souvenir ineffaçable.
Et elles se perpétuent maintenant dans le travail photographique de Yannick Cormier.
Plus qu’un hommage, plus qu’un documentaire, Tierra Mágica devient un voyage. Une forme de longue errance anachronique et païenne.
©Yannick Cormier |
Alors qu’apparaissent certains objets très concrets de notre époque (une roue de voiture, une climatisation) qui nous rappellent que c’est au XXIème siècle que ces photographies ont été prises, les humains ici dévoilés pourraient tout aussi bien appartenir au XVIIème ou à l’Espagne catholique de Blanche de Castille.
Preuve, s’il en est, que la modernité ne peut pas toujours tout effacer.
Mais ce qui est très surprenant, et par la même plaisant, dans Tierra Magica, c’est qu’en suivant le photographe nous perdons peu à peu nos repères.
Parfois, dans un chemin herbeux, à la lisière d’un bois, surgissent ces créatures presque évadées du Labyrinthe de Pan.
Peut-être allons-nous ressentir un brin d’appréhension initial, mais très vite les pitreries, les jeux sauvages et animistes donnent envie de suivre cette folle farandole.
©Yannick Cormier |
Avec ce livre, avec ce travail photographique, Yannick Cormier nous offre quelque chose de très beau et poignant.
Ces traditions qui surent résister aux guerres, dictatures, ces moments où l’Homme voit dans la Nature une amie, une force dont il convient de respecter les humeurs, sont un authentique message.
La planète vit sans nous, alors à quoi bon satisfaire nos égos boursouflés de consommation ?
Aimons-la.
Respectons-la.
Et un jour nous aussi nous serons mi-homme mi-lichen, mais aussi des petits dieux des confins.
La série est visible au Musée Nicéphore Niepce jusqu’au 22/05.